Dans cette une étude exploratoire, nous décrivons comment des organismes des arts de la scène au Québec tentent, par des actions de médiation culturelle (MC) et la mise en place de dispositifs numériques, de susciter la fréquentation de spectacles par le milieu scolaire, de favoriser la connaissance et l’appréciation de disciplines artistiques, voire d’encourager l’expression artistique des jeunes. Par une enquête qualitative menée au moyen d’entretiens semi-dirigés auprès des représentants de dix-neuf (19) organismes de création ou de diffusion en théâtre, danse, cirque et arts multidisciplinaires, nous décrivons les perceptions et les pratiques de MC dirigées vers les publics scolaires au moyen du numérique. Il en ressort que la médiation culturelle numérique est une MC faisant usage du numérique, qu’il s’agisse de réseaux, d’équipements, d’applications logicielles et/ou de contenus multimodaux, dans des configurations particulières propres à chacune des actions. Pour qu’une MC soit elle-même numérique, elle devrait emprunter des modalités proprement numériques pour établir la relation avec un humain. La perspective dans laquelle œuvrent les organismes consultés, celle de la démocratisation culturelle ou de la démocratie culturelle, conditionne leurs actions de MC et entraine une grande variété dans le recours au numérique. Certes, lorsqu’il s’agit de rejoindre des écoles à distance, le numérique, par divers sites Web et médias sociaux, conduit à élargir les audiences dont jouissent les organismes diffuseurs. Lorsque mobilisé par des créateurs dans des écoles à la faveur de différents programmes incitatifs du ministère de l’Éducation, le numérique procure des outils et des ressources pour des actions de médiation encourageant le développement des pratiques expressives des jeunes, et nourrissant du même coup le processus créateur. Par conséquent, nous pouvons affirmer que le numérique contribue à l’extension des territoires de la médiation culturelle en milieu scolaire.
In an exploratory study, we describe how performing arts organizations in Quebec are attempting, through cultural facilitation (CF) and the implementation of digital devices, to promote school-age attendance at performances, and to foster familiarity with, and appreciation of, art disciplines, or even to encourage artistic expression among youth. By means of a qualitative survey performed through semi-structured interviews with representatives of nineteen (19) production or distribution organizations of theatre, dance, circus and multidisciplinary arts, we describe the CF perceptions and practices aimed at school-aged audiences using digital technology. It can be concluded that digital cultural facilitation is a CF that makes use of digital technology, using networks, devices, software applications and/or multimodal content, in configurations specific to each action. For a CF to be itself digital, it should borrow strictly digital modalities in order to establish a link with a human. The perspective in which the consulted organizations work, one of cultural democratization or cultural democracy, influences their CF actions and leads to a large variety in their use of digital technology. Certainly, when connecting schools remotely, digital technology, through various websites and social media, conduces to the expansion of audiences, which is beneficial to distribution organizations. When mobilized by creators in schools through different incentive programs from the Minister of Education, digital technology obtains tools and resources for facilitation that encourages the development of youth expression, and at the same time nourishes the creative process. Accordingly, we can conclude that digital technology contributes to the extension of cultural facilitation’s boundaries in education.
Comment les organismes des arts de la scène, qu’ils se spécialisent dans la création ou la diffusion, mobilisent-ils le numérique dans leurs actions de médiation culturelle (MC) destinées aux publics scolaires? Le présent texte vise à décrire comment ces organismes au Québec tentent de susciter la fréquentation de spectacles, la connaissance et l’appréciation de disciplines artistiques, voire d’encourager l’expression artistique. Nous tentons ainsi de dessiner les contours de cette offre culturelle susceptible de représenter un intérêt aux yeux d’enseignants du préscolaire, du primaire et du secondaire, et développée notamment à la faveur de différents incitatifs à intégrer la culture à l’école.
Dans cet article, nous évoquons le contexte et les questions de recherche, et présentons le cadre conceptuel et la méthodologie d’une enquête menée auprès de répondants d’un grand nombre d’organismes québécois. Nous exposons quelques résultats, en ciblant différents aspects qui nous apparaissent significatifs. Nous discutons enfin de ces résultats, en dessinant quelques perspectives de recherche.
Cette étude s’inscrit dans une large recherche partenariale mise en place par Guay, Sempéré, Larouche, Leroux, Lapointe, et Beaulieu (
Cette recherche se développe dans un contexte culturel et éducatif marqué par diverses politiques ministérielles et initiatives de financement susceptibles de contribuer au développement des pratiques ci-haut mentionnées. Mentionnons au premier chef le Plan culturel numérique du Québec, mis en place en 2014, dont l’un des objectifs consiste à aider les milieux culturels à investir dans le numérique et à profiter des avantages qu’il offre (
Alors que le numérique peut représenter un moyen de choix pour faire connaître une offre culturelle et favoriser une meilleure appropriation par le public scolaire d’œuvres ou encore, une meilleure connaissance et une appréciation d’une discipline artistique, nous connaissons peu de choses sur la façon dont des organismes des arts de la scène en tirent profit pour rejoindre et engager une relation avec le milieu scolaire. De fait, la dimension numérique des actions de MC a suscité peu d’intérêt de la part des chercheurs à l’échelle québécoise ou internationale, qui ont étudié la MC en regard des secteurs du cirque (
Aussi la question centrale de notre étude consiste-elle en celle-ci: comment les organismes de création ou de diffusion dans les arts de la scène recourent-ils au numérique dans leurs actions de MC destinées aux publics scolaires? Et le cas échéant, comment peut-on décrire les dispositifs numériques mis en place?
Une telle recherche implique la prise en compte des finalités éducatives des organismes des arts de la scène (
Que la MC s’inscrive dans des préoccupations liées à démocratisation culturelle ou à la démocratie culturelle, nous nous y intéressons dans une perspective pratique (voir les travaux de
De plus, à la suite de Larouche
L’analyse que nous présentons dans cet article découle de données collectées dans la vaste enquête descriptive et exploratoire de Guay
L’enquête qualitative a été conduite auprès des représentants d’une quarantaine d’organismes, selon trois sous-groupes: un premier qui ne pratique pas de MC, un deuxième qui initie des actions de MC sans recourir au numérique et, enfin, un troisième sous-groupe qui recourt au numérique dans les actions de MC. Pour les fins de cet article, nous avons retenu les données recueillies auprès des représentants de ces organismes, sélectionnés selon les disciplines artistiques et leur ancrage géographique, à Montréal ou ailleurs dans la province, recourant au numérique et indiquant proposer des activités au milieu scolaire. Au total, il s’agit de dix-huit (18) organismes, sur les vingt-deux (22) ayant déclaré recourir au numérique dans la MC.
Nous avons mené des entretiens semi-dirigés au moyen d’un guide élaboré dans la perspective de connaitre les pratiques, les savoirs et les savoir-faire de ces organismes à vocation culturelle et artistique. Ce guide comportait des questions génériques aux trois sous-groupes, i.e. des questions ouvertes de façon à laisser émerger les préoccupations des répondants et les inciter à décrire leur réalité au regard des besoins du projet de recherche. Il était complété de questions relatives à la médiation numérique, aux technologies, aux supports et/ou aux dispositifs privilégiés, aux contenus diffusés (texte, vidéos, images, sons), à la mixité de certaines actions de médiation, mêlant du présentiel et du virtuel, aux effets perçus sur les publics visés et, enfin, aux actions jugées les plus réussies.
L’administration du guide d’entretien s’est déroulée de novembre 2019 à janvier 2020, principalement dans le milieu de travail des participants. Un premier contact était établi entre l’organisme et l’assistant de recherche à partir d’un courriel type qui indiquait les modalités de participation, les délais pour réaliser la rencontre et comprenait une lettre d’information sur les objectifs du projet ainsi qu’un un court questionnaire sur les données d’identification à retourner. Par la suite, un suivi téléphonique permettait de fixer un moment propice à l’entrevue dans un lieu choisi par le participant et à une date qui convenait aux deux parties. Toutes les entrevues ont été enregistrées et transcrites, et soumises à une analyse qualitative de contenu. À postériori, à la suite du traitement des données, il est apparu qu’un autre verbatim émanant du secteur de la danse (38) contenait des indications relatives à la médiation numérique, portant à dix-neuf (19) le nombre de participants.
Nos participants interviennent au sein de sept (7) organismes de création, huit (8) organismes de diffusion, deux (2) organismes qui font à la fois de la création et de la diffusion, et deux (2) organismes dédiés à l’enseignement. Huit (8) organismes œuvrent en théâtre, cinq (5) en danse, deux (2) en cirque, et quatre (4) en multi (voir le
Aperçu et numéro des répondants des dix-neuf (19) organismes des arts de la scène rejoints par l’enquête qualitative ayant déclaré un usage du numérique dans la médiation culturelle proposée au milieu scolaire.
Disciplines | Création | Création et diffusion | Diffusion | Établissement ou réseau d’enseignement |
---|---|---|---|---|
Théâtre | 5 |
2 |
1 |
- |
Danse | 1 |
- | 3 |
1 |
Cirque | - | - | 1 |
1 (V2-C) |
Multi | 1 |
3, dont un webdiffuseur |
||
Afin de décrire les actions de MC des organismes et leur recours au numérique, nous indiquons ce qu’ils entendent par médiation culturelle numérique, et évoquons à grands traits les visées poursuivies et les enjeux rencontrés dans la réalisation de leurs actions. Ce faisant, une démarcation s’opère relativement à l’interaction en présence, à l’école ou sur le lieu du spectacle, ou alors à distance, entre l’organisme et le public scolaire, autour d’une proposition ou d’une pratique artistique.
Devrait-on parler de médiation culturelle numérique ou de médiation culturelle qui utilise le numérique? L’expression même de médiation culturelle numérique (MCN) fait l’objet d’un questionnement.
Une interrogation se fait entendre: utiliser les médias sociaux pour faire connaître un spectacle, est-ce faire de la médiation culturelle numérique?
Si le numérique leur sert d’appui, plusieurs participants avancent l’argument que le numérique ne peut remplacer l’humain et que la médiation culturelle numérique n’est pas de la médiation en soi.
Suivant ces propos, la médiation culturelle numérique est une MC faisant usage du numérique. Pour qu’une MC soit elle-même numérique, elle devrait emprunter des modalités proprement numériques pour établir la relation avec un humain. La médiation numérique doit être en lien avec quelque chose de vivant.
Dans cette perspective, plusieurs participants accordent une grande importance à la relation qui peut s’établir entre l’artiste et des membres de la communauté à qui la médiation est destinée.
La représentante d’un diffuseur jeunesse expose sa vision de ce que pourrait être une MC numérique.
Au fil des entretiens se dégage une tension entre interaction et diffusion de contenus numériques. Des participants opèrent une distinction très nette entre ce qui relève de l’interaction en présentiel entre individus, intrinsèque au processus même de la médiation, et ce qui relève de la diffusion Web, présentant, par exemple, le résultat final d’une action de médiation culturelle.
Au final, la relation, voire l’interaction, entre l’organisme de création ou le diffuseur et le public, autour d’une proposition ou d’une pratique artistique, parait centrale aux préoccupations de la plupart des professionnels interrogés.
Différentes visées associées à la MC doivent être précisées afin de comprendre le recours au numérique. Un diffuseur de théâtre jeunesse dont la mission se rattache à la démocratisation culturelle décrit les trois buts poursuivis par la MC, associés à la préparation technique et logistique, intellectuelle et artistique du jeune public (V9-T).
Selon ce diffuseur de théâtre jeunesse, la médiation culturelle, c’est en quelque sorte la main tendue, formule qui rappelle celle du passeur culturel de Zackartchouk (1999), reprise par le ministère de l’Éducation du Québec (
Chez un diffuseur en cirque se note le souci de mieux faire connaître la discipline artistique concernée. Cette préoccupation semble se rapporter à tous les publics.
Un organisme créateur en théâtre expose une vision de la médiation se rattachant à l’inclusion sociale.
Quant à lui, le webdiffuseur interrogé se pose en “diffuseur de médiation culturelle” (V29-M, l. 12–13), soucieux, par l’atteinte des audiences, de la démocratisation culturelle et de l’éducation du public.
Proposant aussi de définir son action comme de la “médiation culturelle web”, ce webdiffuseur lui associe la visée ultime du développement des capacités expressives du public, que l’on pourrait rattacher à la démocratie culturelle.
De fait, les catégories de démocratisation culturelle et de démocratie culturelle permettent de distinguer deux grands cas de figure pour décrire plus précisément comment des organismes en arts de la scène recourent au numérique dans les actions de MC. Ainsi, dans une perspective de démocratisation culturelle, on retrouve surtout les actions de diffuseurs orchestrées à distance des publics au moyen du numérique, impliquant principalement la diffusion de vidéos et de guides pédagogiques destinés aux enseignants, tel que le révélait l’enquête quantitative (
Le souci de rejoindre le milieu scolaire se concrétise aussi par la production et la diffusion de vidéos. À titre d’exemple, un diffuseur de théâtre jeunesse a créé sa chaine YouTube.
Qui plus est, alors que ce diffuseur théâtral rejoint des écoles de partout par YouTube, ces vidéos produites s’avèrent utiles pour l’animation d’ateliers en classe dans la région métropolitaine.
Un diffuseur multi s’assure de transmettre aux écoles des guides pédagogiques produits par les organismes de création.
Le webdiffuseur procure une vitrine à des actions de médiation culturelle. S’y mêle une logique de diffusion et d’interaction, créant un paradoxe intéressant.
Cependant, la diffusion de ces médiations culturelles se réalise en tenant compte de différentes contraintes, notamment à l’égard des droits d’auteur. Cela représente un défi pour la pérennité des contenus développés.
Ce faisant, le webdiffuseur signale les défis posés au traitement de diverses disciplines et des genres à l’intérieur de ces disciplines, évoquant ainsi le traitement différencié dont elles font l’objet.
D’autres défis tiennent au médium même et au format de diffusion, soit la vidéo de courte durée (moins de cinq minutes), de l’avis du webdiffuseur interrogé.
La réalisation de capsules vidéo par des organismes, dont ce n’est pas la mission première, accapare un temps de travail important, mais il est jugé profitable pour rejoindre le public scolaire, dans la perspective de lui faire connaître l’offre et d’enrichir l’expérience théâtrale.
Selon les représentants des autres organismes interrogés, dont la mission première n’est pas la webdiffusion de vidéos, les opportunités de financement sont déterminantes pour la production de telles ressources.
D’autres, au contraire, font valoir que la médiation culturelle numérique est moins coûteuse à mettre en place.
Cependant, soucieux de favoriser une meilleure appropriation des spectacles, des organismes voient dans les potentialités du numérique des menaces à la fréquentation culturelle.
Dans cette perspective, un professionnel se montre préoccupé par la recherche d’un équilibre entre le numérique et le vivant:
Quoiqu’il faille préserver les expériences en présence de l’avis d’un participant, la diffusion numérique représente une opportunité à développer selon lui.
On note aussi la combinaison d’une médiation mixte mobilisant des outils et contenus numériques lors de la tenue d’activités à l’école ou sur le lieu du spectacle. Ainsi, au chapitre des dispositifs numériques alliant application, équipement et contenus numériques, on recense le
À noter, cette application pour tablette ne représente pas d’intérêt en soi selon l’intervenant interrogé. Elle s’insère plutôt dans une médiation culturelle pratiquée en milieu scolaire ou dans le lieu même du spectacle.
À noter, cet outil permet de consigner des photos des jeunes qui seront utilisées lors de leur arrivée à la salle de spectacle.
Incidemment, le choix des équipements pour les interventions en milieu scolaire dépend des capacités techniques qui s’y trouvent. Un diffuseur en théâtre jeunesse explique:
Dans la perspective de la démocratie culturelle, on constate une variété d’actions de MC, posées par des organismes de création. La MC consiste alors en une stratégie de faire participer le public scolaire à la création d’une œuvre, grâce aux programmes
Dans ce contexte, le numérique procure des potentialités, dont cette compagnie se saisit pour entrer en relation avec le public.
Ce faisant, les médias sociaux sont utilisés pour nourrir le processus créateur.
Certaines des interventions décrites par des participants à l’enquête se rattachent particulièrement à la résidence d’artiste à l’école, rendue possible par le programme
Dans des situations de ce type, la médiation culturelle numérique serait alors associée à la résultante d’une intervention en classe.
Ce faisant, quelles sont les modalités numériques empruntées? Une compagnie de création théâtrale intervenant dans des milieux de garde mobilise le son pour créer des parcours lumineux accompagnés de montages sonores, dans un projet destiné à des élèves des milieux défavorisés.
Une autre compagnie de création, multidisciplinaire celle-là, mobilise le son et la vidéo dans des projets de médiation culturelle qui incorporent le numérique, en développant une relation soutenue avec des membres du public scolaire.
Fait inusité, cette compagnie mobilise la vidéo pour déjouer la résistance à bouger de certains enfants.
Au fil des entretiens, ce rapport que l’on constate entre création et médiation demeure cependant flou, et la frontière qui les sépare paraît mince. Il appert que des organismes créateurs utilisent la communauté scolaire pour y puiser des matériaux qui alimentent un processus de création. Tout en encourageant le développement des capacités expressives des jeunes, ils collectent des traces qui seront investies par la création. Dans cette perspective, on peut comprendre que des participants accordent une grande importance à la relation qui peut s’établir entre l’artiste et des membres de la communauté participante au projet de création.
Ce type d’intervention fournit néanmoins l’occasion d’initier des jeunes à l’utilisation d’outils numériques de captation et de montage. Un exemple provient d’un action menée grâce au programme
Pour un organisme de création théâtrale, la médiation culturelle passe par l’enregistrement sonore. Ce type de médiation s’avère plus fréquent.
Ce faisant, divers défis se rencontrent en milieu scolaire liés notamment à l’éthique. Ils apparaissent alors plus grands pour l’image que pour le son.
Un autre défi réside dans le possible décalage entre les activités d’enregistrement et le montage audio, lorsque les élèves sont conviés à des expériences numériques qui alimentent la création de l’œuvre, comme l’expose un participant d’un organisme en théâtre.
L’exposition de jeunes enfants aux expériences numériques représente aussi un sujet de préoccupation. Une certaine réserve à l’égard des outils et ressources numériques se manifeste chez une participante animant des projets de création théâtrale dans le secteur de l’éducation à la petite enfance. Elle rappelle que leur usage fait l’objet de mises en garde pour le développement des jeunes enfants. D’ailleurs, qu’on tende à proscrire ou du moins à limiter le temps d’exposition aux écrans des jeunes enfants fait en sorte que le numérique lui plaît moins…
En somme, il appert que des actions menées en milieu scolaire, que l’on peut classer sous la grande catégorie de la démocratie culturelle, impliquent une variété d’expériences numériques proposées par les organismes de création, dans la réalisation de leur propre projet de résidence associant création et médiation culturelle.
Les organismes consultés disposent de peu de données quant aux effets auprès des publics visés des actions de médiation culturelle recourant au numérique. À titre d’exemple, il est difficile d’estimer la taille du public scolaire rejoint en ligne, même s’il est potentiellement plus vaste et éloigné du lieu physique que le public rejoint par des activités en présence.
Au hasard des déplacements et de l’accueil des publics, le diffuseur de théâtre jeunesse (9) a obtenu quelques témoignages de l’impact de sa chaine YouTube sur le public scolaire.
Des sondages d’appréciation envoyés par ce diffuseur de théâtre jeunesse (V9) aux enseignants se rapportent à l’expérience globale associée à la fréquentation du spectacle, mais n’abordent pas la consultation ou l’utilisation des contenus numériques produits par l’organisme et diffusés sur sa chaine YouTube.
Par ailleurs, les organismes recourent-ils aux outils statistiques fournis par les médias sociaux? Prennent-ils en compte les
Quant au public rejoint par les dispositifs numériques déployés en classe, le diffuseur théâtral (V29) ne semble pas avoir sous la main de données particulières. Au final, tel que l’indiquait également l’étude quantitative (
La perspective dans laquelle œuvrent les organismes consultés, celle de la démocratisation culturelle ou de la démocratie culturelle, conditionne leurs actions de MC et entraine une grande variété dans le recours au numérique. Certes, lorsqu’il s’agit de rejoindre des écoles à distance, le numérique, par divers sites Web et médias sociaux, conduit à élargir les audiences dont jouissent les diffuseurs. Notons cependant que nous avons relevé le cas d’un organisme de diffusion qui se rend dans des écoles et y déploie un dispositif ne recourant pas aux réseaux informatiques. Lorsque mobilisé par des organismes de création dans des écoles à la faveur de différents programmes incitatifs du ministère de l’Éducation du type “atelier”, le numérique procure des outils et des ressources pour des actions de médiation encourageant le développement des pratiques expressives des jeunes et nourrissant du même coup le processus créateur. En conséquence, nous pouvons affirmer que le numérique contribue à l’extension des territoires de la médiation culturelle en milieu scolaire.
La description des pratiques se rattachant à la démocratie culturelle force cependant à s’interroger sur le sens qu’y accordent les responsables de ces actions: tentent-ils de favoriser l’expression artistique ou de faire participer des publics à la création d’œuvres? Si tel est le cas, ces œuvres auront-elles une diffusion en dehors du cadre scolaire?
Semble-t-il se dessiner des actions et dispositifs distincts selon les domaines disciplinaires? Encore une fois, la distinction semble s’opérer plutôt selon les actions qui relèvent de la démocratisation culturelle ou de la démocratie culturelle. Les publics scolaires sont souvent rejoints à la faveur d’initiatives encouragées par le programme
Jusqu’à quel point le concept de médiation culturelle numérique est-il opérationnel pour décrire ce que mettent en place des organismes culturels à destination de divers publics, notamment scolaires, dans la perspective de la démocratisation culturelle? Devrait-on considérer de telles initiatives comme de la médiation culturelle qui utilise les potentialités du numérique? Comme l’observent dans le domaine de la muséologie, Navarro et Renaud (
Après avoir dessiné les contours de ce qui s’offre aux classes du primaire et du secondaire, il serait pertinent de poursuivre la recherche sous différents angles. La question suivante pourrait être relancée aux producteurs et diffuseurs: jusqu’à quel point envisagent-ils de rejoindre des publics à distance par le numérique? On pourrait aussi se demander si des organismes de création et de production pourraient se passer des diffuseurs pour rejoindre le public scolaire par le Web. Ces questions acquièrent une nouvelle actualité à la lumière des défis posés par la pandémie mondiale et la fermeture temporaire des lieux culturels au Québec, alors que des organismes culturels tentent de favoriser la fréquentation des spectacles à distance. Dans ce cas, pourrait-on envisager de nouvelles formes de médiation à distance, associant la coprésence de membres du public et d’un médiateur lors de l’assistance au spectacle (à distance)? Comme le rappelle ARTENSO, qu’avec la pandémie, “beaucoup de médiateurs et de médiatrices ont intégré́ le numérique et l’espace virtuel pour recréer les maillons disparus de la chaîne de transmission culturelle” (
Par ailleurs, le concept de “médiation [culturelle] pédagogique par le numérique” pourrait-il mieux correspondre à ce que font les organismes associés aux arts de la scène, lorsqu’ils tentent de favoriser une meilleure appréciation des œuvres ou des processus artistiques par les publics scolaires, en particulier par les enseignants et conseillers pédagogiques responsables de la mise en œuvre du
Par ailleurs, considérant le caractère éphémère de l’offre artistique des différents organismes, du fait de la durée des spectacles à l’affiche, continuellement renouvelés en temps normal, comment peut-on penser l’accompagnement pédagogique des intervenants scolaires par la médiation numérique? Se pourrait-il que les contenus numériques axés sur un processus ou un langage artistique particulier représentent une façon de pérenniser les actions de médiation entreprises, comme le fait l’organisme V9-T par des vidéos sur le langage théâtral? Une analyse de contenu des dispositifs et contenus numériques pourrait l’indiquer.
Il serait aussi pertinent d’enquêter auprès d’enseignants concernant leurs usages des ressources numériques développées par le milieu culturel, en particulier celui des arts de la scène. Mentionnons que la récente
Par cette première exploration de la médiation culturelle numérique mise en place par des organismes actifs dans les arts de la scène, notre recherche aura permis de discuter du caractère opérationnel de ce concept, d’esquisser les contours de cette offre culturelle singulière et de soulever quelques questions en vue d’approfondir notre connaissance de ces réalités.
Les rédacteurs en chef invités remercient le Conseil de recherches en sciences humaines pour l’aide financière accordée.
Les autrices déclarent l’absence de conflit d’intérêts.
Marie-Claude Larouche, professeure titulaire, Département des sciences de l’éducation, co-directrice depuis 2018 du Laboratoire de recherche sur les publics de la culture (
Hervé Guay, professeure titulaire et directeur, Département de lettres et communication sociale, co-directeur de 2015 à 2021 du Laboratoire de recherche sur les publics de la culture (
Justine Dubrule, The Journal Incubator, Université de Lethbridge, Canada
Émilie Rouillard-Beauchesne, The Journal Incubator, Université de Montréal, Canada
Christa Avram, The Journal Incubator, Université de Lethbridge, Canada