La culture et l’éducation entretiennent des liens particuliers au Québec particulièrement depuis les années 1960. Depuis différents mandats professionnels et un projet de recherche, l’article présente une vision de l’intérieur de la relation entre les enseignants et le milieu de la culture tel que vécu par l’auteur depuis 2005 jusqu’à aujourd’hui. Alors que l’approche culturelle est préconisée par le ministère de l’Éducation pour l’enseignement au primaire et au secondaire, une absence de ses applications est observée dans les salles de classe. Par des travaux de cocréation pédagogique initiés par l’auteur, au sein de deux institutions culturelles successivement, se dessinent des pistes de solutions. Ainsi, la collaboration entre chercheur, enseignants et institution culturelle dans une dynamique de production de ressources éducatives numériques culturelles donne des résultats signifiants pour les participants. L’intégration culturelle, c’est-à-dire appuyer son enseignement de façon continue sur des références culturelles dans toutes les disciplines développe l’esprit critique et permet de rendre tangibles, sensibles et sensées certaines notions disciplinaires. Il apparaît alors chez les enseignants et les médiateurs culturels une attitude transdisciplinaire, renouvelant ainsi les pratiques et produisant, si ce n’est un nouveau langage entre pédagogie et culture, à tout le moins une communauté d’intérêt et de pratiques.
Culture and education have maintained special connections in Quebec, particularly since the 1960s. Following different professional mandates and a research project, this article presents an interior view of the relationship between teachers and the cultural milieu as experienced by the author since 2005. While the Ministry of Education has advocated the cultural approach for primary and secondary learning, the absence of its application in classrooms is evident. Through the work of pedagogical co-creation initiated by the author, successively in two cultural institutions, paths to success present themselves. In this way, the collaboration between researcher, teachers and cultural institutions within the dynamics of producing digital culturally educational resources offers significant results for participants. Cultural integration, i.e. consistently basing one’s teaching on cultural references in all disciplines, develops critical thinking and helps to make certain disciplinary notions tangible, substantial and reasonable. A transdisciplinary attitude appears in teachers and cultural mediators, thus renewing practices and producing, if not a new parlance between pedagogy and culture, then a community of interest and practices, at the very least.
Le présent texte s’appuie sur mon parcours professionnel et mon expérience dans différents projets d’envergure alliant culture et éducation au Québec. Pour certains éléments, je ferai référence à une littérature scientifique choisie. Pour d’autres, il s’agira plutôt de notes de terrain, de constats émanant de mes expériences. Mon projet de maitrise accorde une attention particulière aux éléments de cocréation, d’objet culturel et de transdisciplinarité. Je ferais donc intervenir des notions abordées dans ma recherche (
J’ai toujours accordé beaucoup d’importance à la pratique réflexive en éducation. (La définition de la la pratique réflexive s’appuie ici sur Schön [
En étant recruté par le Musée des beaux-Arts de Montréal (MBAM) en tant que concepteur pédagogique, j’ai exploré l’univers muséal, les collections encyclopédiques, la conservation, et la relation profonde entre le MBAM et l’éducation. Il est maintenant question de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), la plus grand institution culturelle du Québec, institution complexe, où je m’initie depuis trois ans déjà aux univers de la bibliothéconomie, de la préservation et de la diffusion des archives et du patrimoine culturel québécois. Je découvre aussi, dans cette institution monumentale responsable de la démocratisation de l’accès au savoir au Québec, la relation privilégiée qu’elle entretient avec l’éducation et l’acquisition des connaissances.
J’ai accepté de partager ici mes réflexions liées à ma position professionnelle parfois délicate, mais oh combien constructive et passionnante, entre enseignant, médiateur culturel, pédagogue, gestionnaire de projet en culture puis cadre de l’état en contexte culturel éducatif. Il y a, à mon sens, une distinction importante entre un enseignant et un pédagogue. Un enseignant qui fait appel à la pratique réflexive et qui prend conscience des approches pédagogiques qu’il utilise tend vers le pédagogue, vers le spécialiste de la pédagogie. Quant au médiateur culturel, quoiqu’il utilise la pédagogie comme moyen, il n’a pas comme objectif de faire apprendre, mais plutôt de faire comprendre.
Ces 20 dernières années d’expériences professionnelles m’ont permis d’entrevoir l’importance du développement de la pensée critique, les limites d’un enseignement disciplinaire et la nécessité de l’intégration de la culture en classe. Elles m’ont conduit aussi à repérer les écueils, les effets et les défis à venir. Ces constats et conclusions seront rapportés et présentés ici. Ce texte est un essai construit à partir de mon parcours professionnel. Il sera question, dans les réflexions suivantes, de rapporter les différentes formes de l’approche culturelle telle qu’observées dans les salles de classe et d’en dresser un portrait tangible dans les projets sur lesquels j’ai travaillé. J’aborderai le lien entre l’approche culturelle, en tant qu’approche, et le développement de la pensée critique. Je partagerai mes réflexions quant aux dynamiques à l’œuvre entre les milieux de l’éducation et de la culture en m’appuyant sur deux expériences particulières;
Mon parcours et ma réalité professionnelle actuelle m’ont aidé à déterminer et à choisir des stratégies afin d’explorer l’intégration des ressources culturelles en salle de classe. Dans la dernière section de ce texte seront présentées, toujours à partir de mes observations et de mes expériences, des pistes de solutions et des stratégies à explorer afin de soutenir un dialogue entre pédagogie et médiation culturelle. Finalement, je présenterai en quoi un croisement soutenu et officiel de la pédagogie et de la médiation culturelle serait profitable pour les enseignants et les élèves en classe ainsi que pour les institutions culturelles impliquées en éducation.
Au Québec, une réalité particulière habite les salles de classe allant du primaire au secondaire. Une importante tradition, qui consiste à questionner les relations entre la culture et la pédagogie, est bien vivante depuis le dépôt du Rapport Rioux dans les années soixante (
Alors que l’école poursuit une mission essentiellement culturelle, l’intégration des ressources de même nature dans la salle de classe peut ainsi paraître chose simple. Cependant, mes propres observations me laissent penser que leur intégration demeure fragmentaire, souvent intuitive, parfois calculée et/ou extrêmement pointue en salle de classe. L’approche choisie par le MEQ en
Ainsi, dans le document
En bref, selon la connaissance que j’ai du milieu scolaire, la relation qu’entretiennent les enseignants du Québec avec l’intégration de la culture dans un contexte pédagogique est à l’image du PFEQ : c’est-à-dire prescriptif. Les enseignants ont autour d’eux une quantité de ressources extraordinaires afin de produire cette intégration. Il y a, d’abord, des ressources humaines incarnées par les conseillers pédagogiques, les bibliothécaires scolaires, le service du RÉCIT à l’échelle nationale et les organismes ministériels tels Culture éducation, Culture à l’école. (Le RECIT est un réseau axé sur le développement des Compétences des élèves par l’intégration des Technologies. C’est pricipalement par la formation, le soutien et l’accompagnement du personnel enseignant que le RECIT réalise ce mandat, tout en développant une culture du réseau et de partage.) Ils peuvent ensuite compter sur les ressources éducatives culturelles produites par les institutions culturelles comme les musées par exemple. On trouve notamment en ligne les ressources du Musée national des beaux arts de Québec (
Se développent au Québec, comme partout en Occident, des collaborations ponctuelles entre enseignants et institutions culturelles et organismes culturels. Le temps d’un projet, une relation de proximité culturelle voit le jour au profit des élèves. Depuis quelques années, une intention de plus en plus affirmée de soutenir les enseignants est apparue au Québec, et un accompagnement privilégié en culture leur est proposé. Nous reviendrons sur cette nouvelle façon de collaborer dans laquelle la cocréation, le
Le document intitulé
Mes observations concordent avec les constats de Simard, Falardeau, Emery-Bruneau et Côté (
Au Québec, les domaines d’apprentissages définissent les disciplines enseignées qui sont le substrat des grands champs de la connaissance humaine. Le socioconstructivisme prend forme de façon extraordinaire dans le renouveau pédagogique des années 2000. En effet, les PFEQ, enseignement secondaire, premier cycle, et celui du second cycle (
Au secondaire, les enseignants sont des spécialistes disciplinaires, avec leur langage propre. Séparer ainsi la connaissance en la catégorisant permet au fil du temps d’approfondir les connaissances à propos du champ disciplinaire en question. Approfondir ainsi les connaissances d’un champ en particulier produit une hyperspécialisation disciplinaire. Celle-ci contribue cependant au cloisonnement des disciplines. De ce cloisonnement naît une culture disciplinaire pédagogique constituée, entre autres, d’un lexique, de notions à aborder venant du programme, du contexte d’enseignement, de connaissances relatives aux dernières avancées. En outre, cette culture est teintée de ce qu’est l’enseignant, de ses passions, de ses intérêts, de sa relation avec la discipline elle-même. Il faut donc comprendre ici que l’enseignant du secondaire entrevoit l’intégration de la culture avec ces lunettes disciplinaires et pas autrement.
Intégrer la culture par le prisme disciplinaire comporte plusieurs défis et semble ériger plus haut les murs du cloisonnement disciplinaire. Je considère cette façon d’intégrer la culture en éducation comme une solution temporaire, comme un passage obligé. Un passage qui mènerait éventuellement, par des efforts individuels et collectifs soutenus, vers un décloisonnement pédagogique par l’adoption par les enseignants d’une attitude différente face aux disciplines scolaires. Une attitude transdisciplinaire en enseignement dans une dynamique d’intégration de ressources culturelles permet à l’enseignant de regarder au-delà des limites de sa propre discipline. En effet, l’appropriation pédagogique d’une ressource culturelle mobilise chez l’enseignant des compétences qui ne concernent pas exclusivement une discipline donnée. L’enseignant qui s’appuie sur des ressources culturelles dans son enseignement doit acquérir de nouvelles connaissances, élargir sa perception et emprunter des stratégies qui n’appartiennent pas de façon exclusive à une discipline en particulier. Par exemple, apprécier une gravure du 19e siècle en histoire avec des élèves exige une étape d’observation et d’analyse visuelle fortement inspirée des stratégies d’appréciation esthétique en enseignement des arts plastiques (
Les enseignants avec qui j’ai collaboré au secondaire avaient souvent le sentiment de plaquer une référence culturelle en appui à une notion disciplinaire. La plupart du temps, la culture, ici représentée par une référence culturelle (image, livre, œuvre, artefact, journal ancien, carte ancienne, fossile, fresques, bécher, outil) sert de déclencheur à une activité éducative. La référence culturelle est temporaire dans la dynamique entre l’enseignant et l’élève et non explorée en profondeur. Nous nommerons cette référence objet culturel (
Contrairement à un roman dont les passages sont décortiqués et analysés en profondeur par l’enseignant, permettant une utilisation répétée sur plusieurs années, il est rare que les objets culturels révèlent leur plein potentiel pédagogique en salle de classe. En effet, une première médiation, initiée par l’institution culturelle, est nécessaire pour en dégager des voies possibles d’intégration dans l’enseignement. Puis une deuxième médiation est nécessaire, de nature pédagogique cette fois, pour identifier les éléments permettant de soutenir une intention pédagogique. Il ne s’agit pas ici simplement d’utiliser un objet culturel comme déclencheur, mais bien de faire intervenir cet objet de façon répétée lors d’une activité éducative cette présence accrue de l’objet permet de dégager le sens qu’il peut acquérir selon une discipline donnée, puis d’en tirer des apprentissages.
Le pari, dans des projets pédagogiques menés conjointement avec des enseignants du primaire et du secondaire, c’est de rendre plus signifiants les apprentissages par l’intégration de la culture sur une base quotidienne dans toutes les disciplines. Tout ceci prend du temps, de l’énergie et une disponibilité intellectuelle, sans parler d’une motivation intrinsèque chez l’enseignant. Mais tout ceci s’apprend, avec les bons acteurs, la bonne dynamique, et surtout avec la conviction d’une plus grande
Se lancer dans l’intégration quotidienne de la culture en salle de classe ne veut pas dire réapprendre à enseigner. Il s’agit simplement de connaître et d’introduire au bon moment, et pour expliquer la bonne notion, des éléments culturels propres à sa discipline. Ce geste emprunte des façons de faire au médiateur culturel qui s’ajoutent au répertoire des stratégies pédagogiques. C’est ce mélange dans l’action qui permet à l’enseignant et à l’élève d’ouvrir les éléments culturels à des enjeux plus grands, au-delà de la discipline immédiate. Il s’agit de se questionner, d’analyser, de métaphoriser, de synthétiser. Il s’agit, tant pour l’élève que l’enseignant, de développer sa pensée critique, pensée critique qui s’élève au-delà du cloisonnement disciplinaire.
Essentiel à une compréhension et à une interprétation du monde actuel, le développement de la pensée critique des élèves est facilité, selon moi, par l’intégration de la culture en classe. La pensée critique peut être considérée ici selon Ennis dans Boisvert (
Ensuite, le développement de la pensée critique se matérialise lors de la mise en œuvre des programmes, en classe du primaire ou du secondaire à diverses occasions, lors d’une recherche, d’un dialogue organisé, d’un travail d’équipe ou d’un projet intégrateur interdisciplinaire (activité éducative rassemblant plusieurs disciplines en même temps).
Rarement cette pensée est-elle nommée et explicitée, tant aux enseignants, qu’aux élèves, même si le programme en entier y fait référence de façon implicite par l’approche du développement de compétences. Je m’explique : cette pensée n’est pas explicitement nommée aux enseignants et aux élèves comme un objectif de développement. La considération pour celle-ci est donc semblable en tout point à l’intégration de la culture en classe. Les deux sont introduites de façon intuitive, mais s’essoufflent lorsqu’elles sont confrontées aux considérations pragmatiques de l’enseignement primaire et secondaire au Québec. En effet, présenter et aborder un objet culturel en classe par le dialogue fait intervenir la subjectivité des intervenants. Cette subjectivité est basée sur la culture première de l’élève (et de l’enseignant), puis sur la culture seconde (incarnée par l’enseignant) qui tente de se frayer un chemin et de faire sens (
La culture qui s’installe en salle de classe, incarnée ici par un objet culturel par exemple, fournit un terrain fertile à la pensée critique. Elle ancre plus profondément les connaissances acquises par l’élève, et renforce le sentiment de compétence et de pertinence de l’enseignant (
Selon les enseignants que nous avons interrogés, l’utilisation d’EducArt renforce le rôle de guide de l’enseignant dans la formation de l’identité des élèves, où la culture joue un rôle clé.
Une interprétation commune de la culture et de ses applications est bien présente dans les écoles du Québec. La plupart des enseignants avec qui j’ai collaboré intègrent dans leur enseignement quotidien des références culturelles disciplinaires. Mais cette intégration est la plupart du temps partielle et agit comme un déclencheur d’une autre activité. Elle ne permet pas de tirer parti du plein potentiel de ces références culturelles souvent intégrées par l’intuition et l’instinct des enseignants. Mes collaborations établies avec des équipes d’enseignants lors de la réalisation du projet
Et pourtant, la culture dont il est question en éducation est constituée à partir des connaissances disciplinaires, des enseignants qui les incarnent et de l’interprétation que l’élève en fait. Elle ne peut pas se matérialiser exclusivement dans une œuvre d’art, dans une chorégraphie, dans un film, une pièce de théâtre ou un roman. La culture vit à travers le langage disciplinaire, à travers les objets culturels disciplinaires, à travers les anecdotes humaines disciplinaires, à travers le dialogue disciplinaire. La culture n’est pas exclusivement artistique. Voilà bien une des raisons qui m’a poussé à proposer à des enseignants de toutes disciplines d’exploiter des œuvres d’art puis des objets culturels variés.
J’ai élargi ma conception de l’objet culturel afin de répondre aux besoins, aux anticipations, aux appréhensions des enseignants et de continuer d’explorer les relations entre enseignants et ressources culturelles dans deux contextes institutionnels distincts : celui du MBAM et celui de BAnQ. À l’instar de John Dewey et de sa conception de l’expérience esthétique, dont il affirme qu’elle n’est pas réservée exclusivement à l’art, mais se trouve partout et pour tous (
Plusieurs institutions culturelles de l’État québécois œuvrent en éducation et entretiennent des liens avec les écoles du Québec. Dans mon parcours, j’ai eu l’occasion de travailler pour deux d’entre elles, le Musée des beaux-arts de Montréal et BAnQ. J’ai eu l’occasion de collaborer avec la plupart des autres institutions par les projets auxquels j’ai participé (Musée d’art contemporain de Montréal (MAC), Musées de la civilisation du Québec et le Musée national des beaux-arts du Québec). Signalons que les musées québécois (d’arts, de société ou des sciences) ont développé une offre culturelle numérique à la faveur, depuis plus de 20 ans, de financement par le Ministère du Patrimoine canadien et ensuite par le Ministère de la Culture et des Communications du Québec. L’avènement d’Internet, des connexions à haut débit, l’installation de tableaux numériques interactifs dans les classes et la numérisation des objets culturels provenant de différentes collections, ont peut-être modifié le rapport que les enseignants entretiennent avec les contenus et ressources culturelles numériques, peut-être même avec la culture : celle-ci peut peut-être se frayer plus facilement un chemin en classe. Les objets culturels mis en ligne par les institutions sont généralement d’accès gratuit, souvent contextualisés dans des expériences Web aussi diversifiées que complexes. Ainsi, l’enseignant d’aujourd’hui a l’embarras du choix dans les ressources culturelles éducatives offertes en ligne. On ignore, par contre, jusqu’à quel point les enseignants en tirent profit. À ce propos, deux expériences de terrain prolongées, de 2013 à 2020, me permettent d’apporter des éléments de réflexion sur la relation qui peut s’établir par l’entremise du numérique entre des enseignants et des institutions culturelles. Ces expériences sont menées parallèlement à des travaux scientifiques ayant abordé cette question (notamment
La particularité de l’ethnographie réside dans son caractère visuel. À ce titre, Laplantine (2006) précise que « l’ethnographie est d’abord une activité visuelle ou, comme le disait Marcel Duchamp de la peinture, une activité “rétinienne” » (p. 9). Cette particularité visuelle de la méthode ethnographique vient notamment des travaux de Malinowski (1963, 1985), imposant l’observation directe de la « vie réelle » (Malinowski 1963, p. 74) comme un des principes fondateurs de toute recherche ethnographique. (
Il est important de noter que ces deux plateformes sont imaginées dès le départ comme un outil à être utilisées en salle de classe en temps réel pour l’enseignant. Ce sont des plateformes-outils qui pourraient servir de support à l’enseignement qui désirent intégrer des éléments culturels en classe. Ce concept de plateforme-outils est relativement nouveau dans la mesure où il ne cible pas les élèves à la tâche, mais plutôt les enseignants dans leur geste d’enseignement, tant dans la préparation des cours que pour le cours lui-même.
En 2013, je suis approché et embauché par le Musée des beaux-arts de Montréal afin de contribuer à un projet innovant et, entre nous, ambitieux. Intégrer l’art dans les écoles du Québec au moyen du numérique, une idée originale de Nathalie Bondil. Ce projet donnera lieu à la création de la plateforme ÉducArt, par le travail de Mélanie Devault, conceptrice en éducation, Anna Lupien, réalisatrice, Jean-Luc Murray, directeur de l’éducation et de l’action culturelle et moi-même, concepteur pédagogique. La visée : favoriser l’enseignement de toutes les disciplines à l’aide d’œuvres d’art du MBAM (
Mais voilà, comme ce genre de projet, et de cette ampleur n’avait jamais été réalisé auparavant, l’équipe prendra la décision de conceptualiser et de déterminer à la fois la plateforme, les contenus culturels et pédagogiques par la cocréation avec les acteurs du milieu de l’éducation. L’objectif de départ étant de répondre à des besoins réels des enseignants en salle de classe, par l’intégration d’objets culturels du MBAM regroupés par une thématique, il apparaît évident à l’époque que la cocréation unilatérale est un processus idéal. En cours de réalisation, le processus complet, qui s’est affiné et affirmé au travers des différents projets, était le suivant :
Les thèmes (ex. : La rue, Libertés, Résilience, etc.) étaient sélectionnés pour leurs liens avec le PFEQ et validés par des conseillers pédagogiques.
Les objets culturels étaient sélectionnés selon leur lien avec le thème d’après les points de vue d’une conservatrice et d’une muséologue.
La sélection d’objets culturels était analysée selon un point de vue pédagogique, c’est-à-dire que des liens théoriques étaient tissés entre l’objet et les différentes disciplines scolaires.
Cette sélection était ensuite proposée à une équipe d’enseignants dans une région avec l’objectif de créer une situation d’apprentissage et d’évaluation qui sera vécue en salle de classe.
L’expérimentation de la SAE sera documentée par l’équipe d’ÉducArt par des captations vidéographiques et photographiques à deux moments clés : en cours de réalisation et une fois terminé.
L’utilisation des objets culturels numérisés et des stratégies utilisées par les enseignants est identifiée et nommée.
Parallèlement, le design et les fonctions de la plateforme sont programmés et ajustés selon les besoins des enseignants dans la réalisation des SAE.
Parallèlement, les contenus de médiation culturelle nécessaire à la réalisation de la SAE seront produits et téléversés sur la plateforme. (Selon Lamizet la médiation culturelle est l’ensemble des pratiques qui donne lieu à une expérience esthétique plus large que la création artistique. Cet ensemble s’étend aux fonctions qui aménagent et régissent les moyens d’expression individuelle et collective [
En tant qu’enseignant d’arts plastiques, je suis bien conscient que la cocréation en tant que dynamique suscite l’ouverture. Nous parlerons ici de cocréation pédagogique (
Dans les deux cas, la cocréation se traduit par une dynamique. Pour arriver à produire une situation d’apprentissage et d’évaluation (SAE) qui à la fois respecte la réalité et les désirs pédagogiques des enseignants, le thème et la sélection d’œuvres du MBAM, il s’avère important de réunir et de rendre complémentaires les expertises disciplinaires, pédagogiques et culturelles. En plus de mobiliser les participants dans un projet collectif. Ainsi, les enseignants représentant leurs disciplines, et moi comme délégué du musée, agissant comme un accompagnateur ou un guide pédagogique, nous pouvions créer des activités en faisant parler les œuvres d’art. À partir d’une certaine médiation culturelle exigeant des connaissances relatives à l’œuvre, les enseignants, par mon accompagnement, liaient progressivement les œuvres à des notions disciplinaires et s’ouvraient aux autres disciplines et à la culture. La cocréation pédagogique faisait apparaître un dialogue, entre eux, puis entre eux et le musée. Et finalement, les œuvres d’art de la collection du MBAM révèlent un immense potentiel pédagogique, particulièrement celles que les conservateurs et historiens de l’art présentent comme des chefs-d’œuvre, pour l’ensemble des disciplines.
En reprenant les étapes du processus de réalisation, voici les constats observés :
Les thèmes (ex. : La rue, Libertés, Résilience, etc.) étaient sélectionnés pour leurs liens avec le PFEQ et validés par des conseillers pédagogiques.
Les thèmes sont porteurs, mais sont difficiles à intégrer dans la plupart des disciplines. Les thèmes sont parfois très éloignés des notions disciplinaires abordées.
Les objets culturels étaient sélectionnés selon leur lien avec le thème d’après les points de vue d’une conservatrice et d’une muséologue.
Les sélections se faisaient aussi avec d’autres critères qui ont gagné en importance au fil du projet : leur importance (valeur en histoire de l’art et valeur dans les collections du MBAM) toujours selon le point de vue d’une conservatrice en chef et d’une muséologue. La valeur est ici basée sur des critères comme la démarche de l’artiste, les techniques utilisées, le titre, le sujet abordé dans l’œuvre, la période de réalisation, le courant, la contextualisation historique, etc.
La sélection d’objets culturels était analysée selon un point de vue pédagogique, c’est-à-dire que des liens théoriques étaient tissés entre l’objet et les différentes disciplines scolaires.
Ce travail s’est avéré fort important, car il était le point de départ des échanges avec les enseignants en cocréation. Ce sont mes connaissances acquises par ce travail qui déclenchait la cocréation.
Cette sélection était ensuite proposée à une équipe d’enseignants dans une région avec l’objectif de créer une situation d’apprentissage et d’évaluation qui sera vécue en salle de classe.
Le rapport esthétique à l’objet culturel peut devenir un frein, les connaissances nécessaires à une appropriation de l’objet sont souvent absentes ou incomplètes. Les objets culturels présentés sont compliqués à comprendre selon les enseignants. Il n’y avait pas de lien entre la région et les œuvres présentées.
L’expérimentation de la SAE sera documentée par l’équipe d’ÉducArt par des captations vidéographiques et photographiques a deux moments clés : en cours de réalisation et une fois terminée.
Les contenus les plus forts en termes de rétroaction sont les entrevues avec les enseignants et les élèves. Ce sont ces entrevues qui permettent d’entrevoir le potentiel complet d’ÉducArt.
L’utilisation des objets culturels numérisés et des stratégies utilisées par les enseignants est identifiée et nommée.
Cette étape fut ardue et pas présente naturellement dans les pratiques enseignantes. Les conseillers pédagogiques furent sollicités grandement.
Parallèlement, le design et les fonctions de la plateforme sont programmés et ajustés selon les besoins des enseignants dans la réalisation des SAE.
Ce processus a permis, tout comme la cocréation pédagogique, de développer l’écoute du Musée quant aux besoins des enseignants, ainsi qu’une meilleure compréhension des enseignants de l’univers muséal.
Parallèlement, les contenus de médiation culturelle nécessaire à la réalisation de la SAE seront produits et téléversés sur la plateforme.
La médiation culturelle présente dans la plateforme a été affinée afin de mieux comprendre ce que l’enseignant utilisait réellement en salle de classe comme outil. (ex. : ligne du temps, contextualisation historique, liens avec le PFEQ présentés, stratégies pédagogiques partagées)
Notons qu’avec 30 000 visites uniques en janvier 2019, le projet ÉducArt est un succès au Québec. (Citation de Thomas Bastien en janvier 2019, alors directeur de l’éducation au MBAM, lors d’une rencontre avec le Ministère de la Culture et des Communications. Données provenant du gestionnaire de contenus de la plateforme ÉducArt comptabilisé par Google Analytics.) Depuis son lancement en septembre 2017, ÉducArt est de plus en plus connu des enseignants, particulièrement dans le domaine des arts. Ce type de plateforme numérique accorde à la culture une meilleure place dans l’ensemble des disciplines enseignées au primaire et au secondaire. J’ai eu l’occasion de poursuivre cette voie dans un autre contexte lorsqu’un poste s’est ouvert à BAnQ.
BAnQ est la plus grande institution culturelle du Québec. Elle regroupe trois entités d’importance au Québec; la Bibliothèque nationale, les Archives nationales et le patrimoine national. Engagé d’abord comme responsable de la programmation culturelle et de l’éducation, j’y fonde la première direction des services éducatifs en mai 2019 sous le libellé BAnQ Éducation. Au-delà d’un mandat immédiat de produire des ressources numériques éducatives, BAnQ Éducation a l’ambition de soutenir directement l’approche culturelle de l’enseignement. Trois axes de développement sont identifiés comme piliers : la production de ressources éducatives numériques, le développement pédagogique et didactique, et finalement l’accompagnement de l’enseignant lors de sa formation initiale, durant sa carrière et en formation continue.
À la suite à mon départ du MBAM je suis fasciné par la quantité et la diversité des objets culturels des collections de BAnQ, je passe des heures à fouiller dans la base de données BAnQ numérique et imaginer les potentiels pédagogiques à venir. Fort de mon expérience dans la réalisation de la plateforme ÉducArt je considère les collections et les missions de BAnQ comme étant le terrain le plus fertile et le plus cohérent avec mes intentions : celles de soutenir l’enseignant dans l’intégration de la culture dans les classes du primaire et du secondaire dans l’ensemble des disciplines enseignées.
Afin de bien comprendre l’importance de BAnQ au Québec voici la définition, de ses missions (
Nées de la fusion de la Bibliothèque nationale du Québec avec la grande bibliothèque du Québec (2002), puis avec les Archives nationales du Québec (2006), Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) a pour mission d’acquérir, de conserver et de diffuser le patrimoine documentaire québécois ou relatif au Québec.
Mission de conservation
BAnQ a pour mission de rassembler, de conserver de manière permanente et de diffuser :
le patrimoine documentaire québécois publié et tout document qui s’y rattache et qui présente un intérêt culturel;
tout document relatif au Québec et publié à l’extérieur du Québec.
Mission de diffusion et de promotion du savoir
BAnQ a également pour mission d’offrir un accès démocratique au patrimoine documentaire constitué par ses collections, à la culture et au savoir.
Elle agit comme catalyseur auprès des institutions documentaires québécoises, contribuant ainsi à l’épanouissement des citoyens.
Plus particulièrement, BAnQ poursuit les objectifs suivants :
valoriser la lecture, la recherche et l’enrichissement des connaissances;
promouvoir l’édition québécoise;
faciliter l’autoformation continue;
favoriser l’intégration des nouveaux arrivants;
renforcer la coopération et les échanges entre les bibliothèques;
stimuler la participation québécoise au développement de la bibliothèque virtuelle.
Mission dans le domaine des archives
Dans le domaine des archives, BAnQ a pour mission :
d’encadrer, de soutenir et de conseiller les organismes publics en matière de gestion de leurs documents;
d’assurer la conservation d’archives publiques, d’en faciliter l’accès et d’en favoriser la diffusion;
de promouvoir la conservation et l’accessibilité des archives privées.
BAnQ exerce, à cette fin, les attributions prévues à la Loi sur les archives.
L’institution offre aussi des services de soutien à la recherche et contribue au développement et au rayonnement international de l’expertise et du patrimoine documentaire québécois.
Ainsi je découvre l’univers de la bibliothéconomie par la Grande Bibliothèque de Montréal. Je découvre aussi l’univers archivistique national pour lequel la préservation et la diffusion des archives sont des missions fondamentales. Il en va de même des collections patrimoniales de la Bibliothèque nationale dont la diffusion et la préservation sont tout aussi importantes. J’interprète ici les missions de BAnQ afin de les lier à l’éducation : elle (la bibliothéconomie) est responsable de la catégorisation des savoirs et des connaissances relative au Québec (notamment par la création de vedettes-matière qui servent à classer des contenus), du développement des compétences informationnelles (bibliothéconomie scolaire) et de la préservation et de la diffusion des collections. Il en va de même avec les missions patrimoniale et archivistique, la préservation des objets culturels repose sur un système de choix basé sur l’importance culturelle de l’objet préservé puis ensuite numérisé et finalement diffusé. Ces objets culturels numérisés se retrouvent en salle de classe, proposant par le fait même, un
Les collections de BAnQ comportent comme le MBAM des œuvres d’art (estampes, imprimés, etc.), mais en petite proportion. Les objets culturels de BAnQ sont si diversifiés que je fais le pari non seulement de passer par-dessus la relation esthétique problématique en pédagogie apparue dans la réalisation du projet ÉducArt, mais surtout de répondre aux besoins des différentes disciplines enseignées. Ce que je constate aussi à la suite de mon expérience dans ÉducArt, c’est que pour dégager le potentiel pédagogique de l’objet culturel, il faut le regarder avec différentes lunettes disciplinaires. Ces lunettes introduisent d’autres objets et références culturelles qui permettent à terme une meilleure compréhension de l’objet, et donc son utilisation intelligente dans la salle de classe. Résultat difficile à atteindre sans la cocréation et sans la présence d’une ressource professionnelle dédiée, comme j’entends le faire. Je m’intéresse alors à l’idée que l’ingrédient essentiel de la cocréation réside dans la mise en commun de la médiation culturelle et de la pédagogie. Pourquoi ne pas mettre en commun, en relation, en tension, différents objets culturels pour mieux en comprendre le sens, l’origine et peut-être leur potentiel pédagogique éventuel ?
La création d’une plateforme novatrice financée par le Plan culturel numérique du Québec permet de mettre à l’épreuve ce concept (PCNQ, Mesure 59, Mettre en valeur les collections numériques,
Le choix du fonds d’archives Point du jour est à l’origine du concept de la plateforme. Lors de mon arrivée à BAnQ ce choix était fait. Dès la prise en main du projet, des séances de consultation et de cocréation avec des enseignants portant sur le design et les fonctions de la plateforme ont eu lieu.
Les régions sont liées par l’équipe du projet à des objets culturels provenant d’un fonds d’archives en particulier.
Ce sont ces objets culturels, pour chaque région, qui sont le point de départ de la cocréation avec les enseignants. Ce processus a été déterminé avec des enseignants.
La plateforme vise à partager des SAE conçues en cocréation à partir des objets culturels numérisés de la plateforme, de mettre en évidence les relations entre plusieurs objets, par région.
Les enseignants vont ensuite être accompagnés dans la recherche contextuelle d’appropriation de la photo d’archives et trouver eux-mêmes d’autres objets culturels (ainsi que les informations et connaissances) qui leur permettent de développer une SAE en séance de cocréation.
Parallèlement, le design et les fonctions de la plateforme sont programmés et ajustés selon les besoins des enseignants dans la réalisation des SAE.
Parallèlement, les contenus de médiation culturelle nécessaire à la réalisation de la SAE seront produits et téléversés sur la plateforme.
L’enseignant a l’occasion de trouver des objets culturels complémentaires et ainsi toucher plus de notions disciplinaires par le même geste pédagogique, par la même SAÉ. La plateforme incarne bien ce qu’est BAnQ et est à considérer comme un réceptacle à collaboration. Je découvre, au fil des réalisations des projets dans les différentes régions, des enjeux similaires à ceux de la réalisation de la plateforme ÉducArt. Ainsi, les enseignants du primaire et du secondaire ont en général de moins en moins de temps à consacrer à leur création pédagogique (développement, recherche, exploration) pédagogique et considèrent la collaboration comme un luxe. Mais ce qui semble être un nœud important, qui revient donc dans plusieurs contextes, s’avère le défi de la quête d’informations. Comme présenté dans la dernière section, voici les étapes de réalisation de la plateforme
Le choix du fonds d’archives Point du jour est à l’origine du concept de la plateforme. Lors de mon arrivée à BAnQ ce choix était fait. Dès le début du projet, des séances de consultation et de cocréation avec des enseignants portant sur le design et les fonctions de la plateforme ont eu lieu.
Ce choix imposé, quoique pertinent pour BAnQ, a limité les possibilités conceptuelles.
Les régions sont liées par l’équipe du projet à des objets culturels provenant d’un fonds d’archives en particulier.
Il est apparu que certains enseignants désiraient découvrir d’autres régions que la leur.
Ce sont ces objets culturels, pour chaque région, qui sont le point de départ de la cocréation avec les enseignants.
Cette association a fait l’objet d’une belle réception de la part des enseignants. Elle est par contre limitative et ceux-ci auraient apprécié un ensemble d’objets culturels comme point de départ.
La plateforme vise à partager des SAE conçues en cocréation à partir des objets culturels numérisés de la plateforme, par région.
La production d’une SAE comme finalité exclusive n’est plus suffisante pour les enseignants. Les séances de cocréations et d’échanges dévoilent l’envie de nouveaux modes de collaborations qui ne sont pas encore déterminés.
Les enseignants vont ensuite être accompagnés dans la recherche contextuelle d’appropriation de la photo d’archive et eux-mêmes trouver d’autres objets culturels qui leur permettent de développer une SAE en séance de cocréation.
Cette étape cruciale, d’abord présentée comme de la cocréation, fut transformée en accompagnement à la recherche (savoir comment chercher, trouver et discriminer l’information).
Parallèlement, le design et les fonctions de la plateforme sont programmés et ajustés selon les besoins des enseignants dans la réalisation des SAE.
L’équipe de conception a rencontré des limites financières qui ont empêché l’intégration de certains aspects proposés par les enseignants. Les enseignants consultés avaient parfois de la difficulté à se positionner sur des choix esthétiques, de design et de navigation.
Parallèlement, les contenus de médiation culturelle nécessaires à la réalisation de la SAE seront produits et téléversés sur la plateforme.
Cette étape, pilotée tout au long de la réalisation de la réalisation à généré beaucoup d’interrogations à la fois chez les enseignants et pour l’équipe du projet. Quels contenus culturels sont pertinents en éducation et à quelles fins ?
C’est en accordant beaucoup d’importance à l’étape 5 du processus de réalisation, l’accompagnement à la recherche par la cocréation, que j’ai pu observer, comme dans le projet ÉducArt, que l’utilisation d’objet culturel en salle de classe repose sur des connaissances qui proviennent d’une médiation culturelle pensée d’abord par les institutions culturelles. L’enseignant a l’opportunité ici de faire vivre et briller la culture de sa région par la réalisation d’une SAE. Même si celle-ci ne semble plus suffisante pour mobiliser l’enseignant à la tâche, le désir de présenter son école, son quartier, son village, sa ville, sa région demeure assez fort pour qu’il s’engage dans le projet. Il est important de rapporter ici que l’exercice de liaison entre la photographie du fonds Point-du-jour avec d’autres objets culturels de BAnQ comporte son lot de défis pour les enseignants, et ce, malgré le soutien de l’équipe de BAnQ. L’intégration d’objets culturels provenant d’autres institutions culturelles est apparue rapidement en tant que demande dans les séances de cocréation par les enseignants. Finalement, comme dans la réalisation du projet ÉducArt, les équipes de BAnQ ayant collaboré au projet ont amorcé un changement de posture face au milieu de l’éducation. C’est-à-dire qu’une écoute nouvelle des besoins réels des enseignants s’est installée dans les pratiques de BAnQ. En plus de générer de meilleures connaissances des besoins, des enjeux et des réalités du milieu de l’éducation, BAnQ, par la réalisation de la plateforme, puis par la création de BAnQ Éducation devient un acteur important en culture-éducation.
En 2019–2020, une série de rencontres organisées par le Ministère de la Culture et des Communications du Québec avait pour objectif de fédérer les efforts en culture-éducation. En partageant et en précisant les besoins et les intentions des institutions culturelles pour les années à venir, un constat alarmant est apparu. Les grands efforts de numérisation des dernières années ont permis au Québec de rattraper son retard certain en termes de préservations numériques de ses cultures et de son patrimoine. Mais pour l’ensemble des institutions culturelles du Québec, le réflexe a été de mettre à disposition du grand public, enseignants compris, les objets culturels numérisés par la création de différentes plateformes et projets web. Dans le passé, cette mise à la disposition paraissait peut-être suffisante, et je crois que c’était un geste nécessaire, une première étape vers une réelle démocratisation de la culture et des savoirs. Mais voilà que j’ai expérimenté deux contextes de production et de collaboration différents, et que malheureusement j’en arrive aux mêmes constats ; la mise à disposition des collections numériques pour les enseignants n’est pas suffisante. Il faut s’interroger, d’une part, sur la réception par l’enseignant de ces objets culturels numérisés, puis, d’autre part, il faut travailler avec lui sur les usages possibles (Larouche et al. 2019) Dans les deux contextes de réalisation, comme présenté ci-haut, voici la synthèse des enjeux communs que je propose :
L’acquisition de connaissances par l’enseignant afin de mieux comprendre les objets culturels et de les intégrer à sa discipline fut un grand défi.
L’enseignant a peu ou pas d’outil afin de faciliter l’intégration d’objets culturels en classe.
L’approche culturelle est connue des enseignants, mais n’a pas de forme normalisée en salle de classe.
Une absence de méthode soutenant l’approche culturelle est observée.
L’enseignant accueille grandement l’accompagnement pédagogique en médiation culturelle de l’institution.
La production d’une SAE écrite demande beaucoup de travail de rétroaction ce qui n’est pas habituel chez les enseignants.
Le temps dédié à la cocréation, ainsi que le processus et les finalités furent grandement appréciés par les enseignants.
Comme les deux plateformes présentées sont à être considérées comme des outils d’intégration de la culture en classe, il est fascinant que des enjeux communs émergent et pointent vers les mêmes besoins. Il apparaît primordial de susciter le partage des deux expertises particulières identifiées ci-haut; l’expertise pédagogique provenant du milieu de l’éducation et l’expertise en médiation provenant du milieu culturel. Développer cette dynamique collaborative pourrait aider les institutions à comprendre pourquoi au Québec, malgré une offre foisonnante en culture-éducation, les ressources numériques éducatives culturelles demeurent possiblement sous-utilisées, et ce même en contexte de confinement et d’enseignement à distance. Au-delà des enjeux d’utilisation, il y a les enjeux de découvrabilité. Pour faciliter la lecture et la compréhension de cet article, voici une définition du concept « La découvrabilité d’un contenu dans l’environnement numérique se réfère à la fois à sa disponibilité en ligne et à sa capacité à être repéré parmi un vaste ensemble d’autres contenus, notamment par une personne qui n’en faisait pas précisément la recherche.», (
Il fut fort intéressant d’observer dans les deux initiatives numériques, dans la relation entre le milieu de l’éducation et les institutions culturelles, les dynamiques de travail et les défis à surmonter. Le milieu de la culture a son propre langage, ses propres impératifs et bien évidemment ses réalités propres. Les institutions qui décident de développer une offre éducative, en salle, en atelier ou numérique sont confrontées à plusieurs questions qui dépassent largement leur expertise en médiation culturelle. En, effet, bien que le MBAM et BAnQ produisent traditionnellement des ressources éducatives nichées, ces organismes ne sont pas l’école, ne représentant pas l’autorité pédagogique d’un champ disciplinaire et ne peuvent pas par conséquent agir en ce sens. Même si elles sont toutes deux expertes en médiation culturelle destinée au monde de l’éducation, il serait mal vu et prétentieux de
La médiation pédagogique transparait entre l’objet d’apprentissage et l’élève. Elle apparaît avant, pendant ou après le processus d’apprentissage. Ainsi, elle fait référence à une personne qui s’entremet entre l’objet d’apprentissage et l’élève pour l’aider à trouver des solutions à des fins d’apprentissage. Dans cette perspective, la médiation pédagogique renvoie à un intervenant qui s’interpose entre l’objet d’apprentissage et l’élève, et qui agit.
La médiation culturelle est le propre des institutions et organismes culturels et des médiateurs culturels. Non pas que cette expertise soit exclusive à ceux-ci, mais les méthodes, les moyens, les approches, les objectifs qui s’y rattachent constituent un domaine en soi (
Voilà que le numérique bouleverse et catalyse cette relation en devenir et fait apparaître un nouveau langage, entre médiation culturelle et médiation pédagogique. Ce langage se construit en présence ou en l’absence des deux parties concernées. Ce langage en construction est, à mon avis, la clé de voûte d’une intégration quotidienne de la culture en salle de classe.
Les numérisations culturelles des dernières années permettraient à la culture d’investir la salle de classe massivement selon les différents acteurs du milieu culturel. L’accès gratuit à des millions d’objets culturels, dont les droits sont en général dégagés, est sans précédent. Sans jamais remplacer une visite scolaire au musée ou à la bibliothèque, il faut quand même souligner l’accessibilité sans limites ou presque des images en haute résolution, des vidéos de qualité et des documents patrimoniaux via des sources fiables (
Parce que ces objets culturels numérisés sont en général présentés en ligne principalement dans une perspective de médiation culturelle, ils sont possiblement incompris par les enseignants dans un contexte éducatif (
ÉducArt et NTNI offrent, selon moi, de bons exemples d’une offre culturelle éducative numérique qui tient compte de la réalité et des besoins des enseignants. Les besoins des enseignants sont ici à considérer comme la nécessité de passer l’entièreté du programme dans une discipline donnée, de préparer l’élève aux examens et, ultimement, de générer des apprentissages signifiants chez l’élève. Ces apprentissages altèrent la culture première afin de demeurer ensuite une référence pour celui-ci. Mais ces deux plateformes présentent aussi la nécessité de déterminer des moyens pour comprendre les usages éventuels en salle de classe. Non seulement faudrait-il s’intéresser à la façon dont ces contenus prennent sens pour l’enseignant, au cœur de sa pratique professionnelle, mais aussi il sera impératif de développer des outils interactifs simples et efficaces facilitant la relation entre l’enseignant et l’objet culturel numérisé.
Dans cette perspective, il m’est apparu essentiel d’aligner les efforts de l’équipe de conception de
Le développement d’un tel langage semble faire apparaître une attitude, tel que décrite par Ennis dans Boisvert (
Intégration présupposant une forme d’unification des méthodes d’enseignement tout en respectant les méthodes didactiques spécifiques ; interdisciplinarité organisée de sorte que les matières ou les disciplines autrefois séparées ne puissent prendre le dessus les unes sur les autres ; intégration tendant vers le décloisonnement complet des disciplines enseignées [
Ainsi donc, une institution culturelle muséale et une institution culturelle bibliothéconomique, archivistique et patrimoniale s’autorisent à écouter, à dialoguer avec des enseignants qui n’ont habituellement aucun lien avec la conservation, avec l’histoire de l’art ou avec la muséologie en général. Voici donc une relation nouvelle, de proximité, qui permet probablement de susciter un changement de pratiques chez les enseignants et une posture d’écoute de la part d’une institution culturelle de taille. Il va de soi que le projet ÉducArt est un projet majeur au Québec pour l’intégration de la culture dans la salle de classe, en vue d’un partage de la charge culturelle par tous les enseignants disciplinaires. Je me permets de partager ici quelques éléments complémentaires à la conclusion de mon mémoire de maitrise. Enseigner ce qui est prescrit a quelque chose de rassurant, mais comporte un certain risque. Comment un enseignant fait-il en l’absence de temps réservé à la création pédagogique pour renouveler ou développer ses connaissances à propos d’un objet culturel précis et l’intégrer dans une séquence d’enseignement ? Comment fait-il pour déterminer (souvent seul) comment chercher et trouver les informations culturelles, pour en parler adéquatement ? Mais surtout, comment pourrait-on le convaincre que l’intégration de la culture pourrait lui faire gagner du temps et de l’énergie quant à la portée de ses gestes pédagogiques et à la signifiance des apprentissages réalisés par les élèves ?
Les efforts en culture-éducation sont nombreux au Québec, de même que les acteurs en recherche, en pédagogie, en didactique en médiation culturelle. J’ai entrouvert ici quelques fenêtres sur la pluralité des réalités qui se côtoient dans la dynamique culture-éducation. Les projets ÉducArt et
L’appropriation des objets culturels en salle de classe ne peut reposer exclusivement sur l’utilisation d’un outil numérique, et/ou d’un accompagnement pédagogique et culturel. Cette appropriation repose peut-être sur le développement intensifié de la pensée critique dès la formation des maitres. Elle repose aussi peut-être sur le développement de méthodes d’intégration de la culture en classe enseignées dès la formation des maitres. La découvrabilité des contenus est un enjeu généralisé qui vient avec la prolifération des contenus numériques des dernières années. L’hétérogénéité des bases de données, des différents projets et contenus des institutions culturelles est au cœur de cette problématique. La catégorisation des contenus et l’intégration des métadonnées sont intimement liées à la fois au développement informatique et à la bibliothéconomie. Dans la réalisation des projets numériques en culture-éducation, la présence, les rôles et les fonctions ne peuvent se limiter à la culture et à la pédagogie. D’autres spécialistes devraient être ajoutés à la production comme par exemple les bibliothécaires, experts en bibliothéconomie, dans la production et la gestion des bases de données et des métadonnées ainsi que les bibliothécaires scolaires dans le partage et le choix de l’offre culturelle éducative aux écoles du Québec. Il serait pertinent et passionnant de considérer les enseignants du Québec comme des créateurs pédagogiques, comme des cocréateurs pédagogiques, comme des passeurs pédagogico-culturels. À la différence du passeur culturel (
Les rédacteurs en chef invités remercient le Conseil de recherches en sciences humaines pour l’aide financière accordée.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts relativement à la rédaction et au contenu de cet article.
Marie-Claude Larouche, professeure titulaire, Département des sciences de l’éducation, co-directrice depuis 2018 du Laboratoire de recherche sur les publics de la culture (lrpc.ca), Université du Québec à Trois-Rivières, Canada
Hervé Guay, professeure titulaire et directeur, Département de lettres et communication sociale, co-directeur de 2015 à 2021 du Laboratoire de recherche sur les publics de la culture (lrpc.ca), Université du Québec à Trois-Rivières, Canada
Émilie Rouillard-Beauchesne, The Journal Incubator, Université de Montréal, Canada