Introduction

« A new strategy for knowing our world is emerging, but we are not passive in its arrival ». (Weinberger 2011, 46)

Comme le monde qu’il contient, le musée est un organisme en mouvement. D’une certaine manière, il est un microcosme qui met en relation des objets ou des œuvres d’art avec leurs contextes d’émergence pour tracer les contours du macrocosme des civilisations humaines et de leur patrimoine. Aujourd’hui, et depuis le développement des nouvelles muséologies des années 1970, il apparait que le musée s’engage de plus en plus à l’extérieur de lui-même, dans le monde, pour rejoindre ses communautés de visiteurs et les mettre en relation avec leur présent et ses enjeux.

Plus de quarante ans après la Déclaration de Santiago du Chili,1 l’accessibilité et la démocratisation des collections par des publics diversifiés demeurent des enjeux auxquels font face les musées et qui, avec l’avènement de la révolution numérique, l’amènent à élargir sa portée hors de ses murs. Grâce à Internet, de nouvelles fenêtres s’ouvrent et celles-ci permettent au musée d’entretenir une nouvelle relation avec l’extérieur, avec de nouveaux publics. Cette révolution numérique est autant technologique – nouvelles fonctionnalités, nouveaux outils – que philosophique. La nature même d’un réseau comme Internet change notre rapport à l’information et au savoir. La philosophie qui sous-tend le Web 2.0 en invitant l’utilisateur à la participation et au partage modifie la façon dont on interagit avec le monde, notamment notre relation à la connaissance. Les musées ne sont pas exempts de ces bouleversements et leur fonction éducative est appelée à être redéfinie par ces transformations (Allard 2012, 129).

Alors que les sites Internet des musées diffusent des informations sur leur calendrier, sur les modalités de visite ou les objets et les œuvres de leurs collections, de nombreux musées ont aussi emprunté la voie du numérique et du Web pour élargir et/ou compléter leur offre éducative intra et/ou extra muros. En proposant aux enseignant.e.s des ressources et des activités éducatives en ligne – plans de leçons téléchargeables, activités de préparation ou de poursuite d’une visite intra muros, expositions et visites virtuelles, jeux, etc. –, les musées rendent leur collection et leur expertise accessibles à un public élargi, entre autres scolaire, et établissent de nouveaux types de relations avec lui, au-delà des frontières temporelles – la durée d’une visite au Musée – ou spatiales – la circulation dans les salles du Musée (Pavlou 2012, 292).

Ces constats sur l’indéniable impact de la révolution numérique sur les musées et sa fonction éducative amènent à considérer une série de questions : dans un univers rhizomatique comme celui d’Internet, quels savoirs les musées sont-ils amenés à produire et à diffuser relativement à leurs collections? Comment les modes interactifs et participatifs d’appréhension du savoir issus de la philosophie du Web 2.0 peuvent-ils transformer le musée dans sa relation avec ses publics, particulièrement dans sa fonction éducative? Comment le musée et l’école sont-ils appelés à interagir à l’intérieur de ces frontières élargies?

Ces questions essentielles ont contribué à orienter le développement d’ÉducArt, une plateforme numérique d’activités éducatives thématiques du MBAM à l’intention des enseignant.e.s de tous les domaines d’apprentissage de l’école secondaire du Québec. Issu d’une recherche-développement suivant le modèle théorique de Harvey et Loiselle (2009) sur la production d’un outil pédagogique, cet article documentera les principes sur lesquels s’appuie ÉducArt, ainsi que la mise en place de la plateforme numérique du MBAM, lancée en 2017. Selon Harvey et Loiselle, dans le contexte de la production d’un outil pédagogique comme ÉducArt, la recherche-développement permet l’analyse des différentes phases de conception, de réalisation et de mise à l’essai de l’outil, tout en le situant dans une recension des écrits et des pratiques existantes (Harvey et Loiselle 2009, 96). L’article présentera d’abord l’origine, les objectifs, le concept et les grands principes de la plateforme ÉducArt. Ensuite, pour chacun des quatre grands principes, une revue de la littérature et des pratiques positionnera dans des encadrés les choix méthodologiques et d’opérationnalisation qui ont été faits, autant du point de vue de la macro-opérationnalisation de la plateforme numérique en entier que de la micro-opérationnalisation des thèmes développés. Ces deux volets de planification s’influencent l’un et l’autre dans leur développement.

1. L’origine du projet ÉducArt et son référentiel dans les écrits et les pratiques

Le projet ÉducArt a été initié par Nathalie Bondil, alors directrice générale et conservatrice en chef du MBAM, et réalisé au sein du département de l’éducation et des activités culturelles dirigé à l’époque par Jean-Luc Murray. ÉducArt s’appuie sur deux éléments clé : le positionnement social du Musée et sa collection encyclopédique représentant toutes les époques et les types d’expressions artistiques, discutée plus loin, au point 1.2. Plus précisément, nous pouvons identifier les principes d’accessibilité et de collaborations avec les milieux communautaires développés à travers le programme Musée en partage depuis l’année 2000 et qui a transformé la relation que le Musée entretient avec ses publics; le programme Le Musée s’affiche à l’école qui diffusait dans les écoles du Québec des affiches d’œuvres de la collection du Musée en les mettant en relation avec des enjeux sociaux actuels; et l’exposition virtuelle Découvrir l’art québécois et canadien qui employait le numérique à des fins de diffusion éducative de sa collection.

Selon le modèle de Harvey et Loiselle, le concept s’établi à partir d’objectifs clairs et se précise, s’affine, se positionne avec la partie du référentiel dans la recension des écrits et des pratiques. Les quatre principaux objectifs d’ÉducArt ont ainsi été formulés en amont de sa conception par la directrice générale et conservatrice en chef: 1) Faire rayonner la collection encyclopédique du Musée; 2) Produire un site Internet de ressources et d’activités éducatives en ligne cohérentes avec sa vision sociale et éducative; 3) Produire des ressources et des activités éducatives en ligne s’inscrivant dans tous les domaines d’apprentissage du Programme de formation de l’école québécoise en portant un regard multidisciplinaire sur la collection encyclopédique du Musée; 4) Avoir une portée nationale en rejoignant au moins une école dans chacune des 17 régions administratives du Québec à travers des projets pilotes.

Ces objectifs ont permis de définir le concept d’ÉducArt comme un projet qui vise à rendre accessible sa collection encyclopédique à l’échelle nationale, notamment au public de l’école secondaire du Québec, par l’entremise de ressources éducatives en ligne à l’intention des élèves et des enseignant.e.s. Pour offrir des contenus qui répondent à l’ensemble des domaines de formation de l’école québécoise (univers social, science et technologie, mathématique, langues, univers des arts, éthique et culture religieuse), le Musée pose un regard multidisciplinaire sur sa collection, de l’art à la science, en offrant des ressources thématiques sur des enjeux sociaux en phase avec sa vision sociale et qui résonnent tout à la fois dans le Programme de formation de l’école québécoise (l’écologie, la diversité, l’identité, le territoire). À chacun des thèmes proposés par le Musée sera associé un projet scolaire dans une école du Québec, réalisé en collaboration avec des enseignant.e.s et des conseiller.ère.s pédagogiques des différents domaines de formation. C’est le résultat de ces projets créés par le Musée et l’école qui formera, en ligne, une banque de ressources éducatives dont la portée sera nationale.

Le développement d’ÉducArt s’appuie finalement sur quatre principes fondateurs : l’expérience numérique et l’utilisation du Web par les musées; l’approche thématique et transversale des collections; l’approche multidisciplinaire des œuvres d’art et l’approche collaborative et de cocréation des activités pédagogiques.

1.1. L’expérience numérique et l’utilisation du Web par les musées

Bien que l’on puisse faire remonter l’origine d’Internet aux années 1960, l’accessibilité au réseau par le grand public explose dans les années 1990 (Landry 2007, 6). Rapidement, les musées voient les possibilités offertes par ce nouveau médium pour entrer en relation avec leurs publics au-delà des frontières de leurs espaces physiques.

Si plusieurs sites de musées possèdent un onglet consacré à l’éducation où l’éventail des programmes de visites éducatives et des activités culturelles est répertorié, ce ne sont pas tous les musées qui développent des activités éducatives en ligne – du moins avant les fermetures successives des musées liées à la crise sanitaire mondiale de 2020. La chercheure Anik Landry (2007) fait l’inventaire des musées d’histoire et lieux patrimoniaux du Québec qui offrent de telles activités et remarque que l’appellation « activité éducative muséale sur Internet » est utilisée par les musées de façon non balisée et qu’on retrouve une variété d’actions qui n’exploitent pas nécessairement les spécificités du médium Internet, comme l’interactivité. Pour se qualifier comme une activité éducative muséale sur Internet, Landry définit les paramètres suivants :

Une activité muséale sur Internet conçue avec une orientation pédagogique (c’est-à-dire d’enseignement et/ou d’apprentissage) permettant soit de rechercher et consulter des contenus, soit de manipuler les contenus par le biais d’animation, de jeux, de simulation ou toutes autres activités, soit de mettre en forme et de traiter des informations par la création de productions numériques en ligne ou d’échanger des informations par le biais des possibilités de partage et de communication qu’offre le médium Internet. (Landry 2007, 161–162)

Par cette définition, nous comprenons que sont exclus les documents téléchargeables – les plans de leçons, par exemple – faits par les musées à l’intention des écoles puisqu’à priori ils ne renvoient pas à une consultation en ligne de contenus et qu’ils ne comportent pas une utilisation des spécificités du médium Internet, à savoir la consultation, la création et la communication entre usagers (Larouche, Meunier, et Lebrun 2012, 175).

L’un des éléments sur lequel insiste Anik Landry dans sa définition d’une activité muséale sur Internet est l’intégration d’une composante interactive, puisque ceci distingue le rapport à l’information relatif au Web 1.0 et 2.0. Avec ses parcours thématiques qui peuvent être créés par l’utilisateur, elle identifie d’ailleurs la plateforme EduWeb développée par le Musée McCord en 1996 comme exemplaire des nouvelles fonctionnalités éducatives possibles dans l’esprit du Web 2.0. (De nombreuses évaluations dans une perspective de didactique de l’enseignement de l’histoire ont documenté l’utilisation du site dans le milieu scolaire. [Parmi celles-ci Larouche, Meunier, et Lebrun 2012 ; Larouche et Vallières 2006 ; Larouche 2003].)

Au-delà de la composante technologique d’interactivité, un changement de paradigme philosophique doit être pris en compte entre ces deux modes d’appréhension de l’information (Kelly 2010). Dans son article « How Web 2.0 Is Changing the Nature of Museum Work », Lynda Kelly montre bien les défis liés au contenu et à la composante éducative de ceux-ci. Elle y distingue le rapport à l’information du Web 1.0 et celui engagé par le Web 2.0 :

Web 1.0 was seen as having a primary focus on information provision – a one-to-many model in which there was little in the way of feedback, sharing, and conversation. […] Web 2.0 provides the platform for museums to be places where staff and their communities can work together to create, organize, and disseminate knowledge while engaging with ideas. (Kelly 2010, p. 405).

Autrement dit, dans une telle structure, le musée pourrait passer d’une relation à sens unique où il fournit de l’information (modèle vertical), à une relation multidirectionnelle où il engage et participe à un dialogue et/ou une conversation (modèle horizontal).

ÉLÉMENTS DE LA PHASE D’OPÉRATIONNALISATION DU SITE ÉDUCART

L’opérationnalisation du projet ÉducArt a été initiée avec le soutien de la Fondation de la Chenelière, puis poursuivie avec le soutien du Plan culturel numérique du Québec. Lancé le 4 juin 2014 par le Parti libéral du Québec, le Plan culturel numérique du Québec prévoit injecter 110 millions de dollars sur sept ans pour soutenir les initiatives culturelles intégrant le numérique :

  • À la suite d’un vaste processus de consultation amorcé en 2010, le ministère de la Culture et des Communications a lancé le Plan culturel numérique du Québec (PCNQ) en septembre 2014. Ce plan a été préparé en collaboration avec le réseau d’organismes et les sociétés d’État relevant de la ministre de la Culture et des Communications ainsi qu’avec les acteurs du milieu culturel et du secteur des communications. Il a pour objectif d’aider le milieu culturel à investir le monde du numérique pour permettre au Québec de profiter des nombreux avantages que recèle cet univers et de demeurer concurrentiel sur les marchés mondiaux. (MCC 2022)

1.2. L’approche thématique et transversale de la collection encyclopédique

L’approche thématique en éducation muséale permet aux visiteurs, par exemple scolaires, de dégager du sens à partir d’un regroupement d’objets. Le contexte d’un site Internet pour la représentation thématique et éducative de la collection offre des possibilités démultipliées. En effet, comme Jean Davallon le théorise, l’exposition étant un médium de l’espace qui situe les objets dans un circuit spatial, son appropriation dans une visite guidée scolaire, par exemple, doit composer avec des déplacements et leur durée dans l’espace : « L’exposition est composée de différents registres qui ne sont pas transposés sur un même support mais sont associés dans l’espace. La mise en relation des éléments exposés dépend donc de l’activité du destinataire » (Davallon 2011, 38). Dans l’expérience Web, l’espace-temps se négocie autrement et permet une lecture transversale de la collection encyclopédique sans égard à l’emplacement physique de l’objet d’art, qu’il soit en exposition – au Musée ou ailleurs – ou en réserve. Ainsi, des œuvres exposées dans les salles d’art contemporain ou de design, logées dans deux pavillons différents du Musée, ou des œuvres graphiques dont l’exposition est limitée dans le temps pour leur conservation, des œuvres en prêt servant le propos d’une exposition temporaire à l’extérieur du Musée, peuvent entrer en dialogue dans l’espace Web. Dans le contexte de la conception du projet ÉducArt, de telles possibilités permettent de renouveler le regard sur la collection encyclopédique et d’enrichir de façon synchronique les différentes significations que peut porter une œuvre d’art, répondant ainsi aux besoins des enseignant.e.s.

ÉLÉMENTS DE LA PHASE D’OPÉRATIONNALISATION DU SITE ÉDUCART

La collection du MBAM compte plus de 43 000 objets d’art, répartis en six collections : arts du Tout-Monde, art international ancien et moderne, art québécois et canadien, art contemporain international, arts décoratifs et de design, arts graphiques et photographiques. Puisque toutes les périodes et toutes les formes d’expression artistique sont représentées, on peut parler d’une collection dite encyclopédique.

Pour circonscrire l’univers thématique d’ÉducArt, une première liste de thèmes en résonance avec la mission sociale de l’institution a été élaborée et approuvée par la direction générale et son comité aviseur « Art et éducation » : parmi les thèmes retenus, on retrouve des thèmes qui résonnent avec des enjeux actuels comme le corps, l’écologie, la paix, la diversité culturelle, etc. Ces thèmes à résonance sociale appellent à une lecture au-delà de l’histoire de l’art et nécessitent des portes d’entrées multidisciplinaires.

1.3. L’approche multidisciplinaire de la collection encyclopédique

Positionnés comme gardiens du savoir, les musées ont une longue tradition de producteurs de contenus scientifiques sur leurs collections. Ce mandat est d’ailleurs partie prenante de la définition du musée proposée par le Conseil international des musées : le musée acquiert, conserve, étudie et transmet ses savoirs sur le patrimoine de ses collections. (« Un musée est une institution permanente sans but lucratif au service de la société et de son développement, ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son environnement à des fins d’études, d’éducation et de délectation » [ICOM 2007].) La connaissance qui est produite est liée à la nature de la collection du musée et à son savoir disciplinaire. Dans le cas du musée d’art, la tradition de l’histoire de l’art vient encadrer la recherche sur les collections au moment de l’acquisition et lors de la production d’expositions, de catalogues ou de toute diffusion des œuvres (Bergeron et Davallon 2011).

Ce type d’approche disciplinaire n’est pas étranger à l’approche encyclopédique issue du 18e siècle qui vise à classer les savoirs pour se figurer le monde, à créer des unités microcosmiques pour révéler le macrocosme. Pourtant, le philosophe Edgar Morin, dans ses réflexions sur la connaissance et l’éducation, plaide pour une réunification des connaissances fragmentées, voire enfermées, dans les savoirs disciplinaires formulés par les spécialistes et les experts (Morin 2011).

Déjà dans les années 1970, George Henri Rivière en développant les principes de ce qui allait devenir la « Nouvelle muséologie » envisageait un musée multidisciplinaire où seraient conviées toutes les disciplines du savoir. François Mairesse, dans son entrée sur le « Musée » du Dictionnaire encyclopédique de muséologie, évoque la pensée de Rivière : « Un musée existera-t-il jamais, conjuguant à proportions égales les branches des disciplines du savoir? » (George Henri Rivière cité dans Mairesse 2011a, 396). Pour Rivière, un tel objectif permettrait d’atteindre une meilleure compréhension du monde et répondrait à la fonction de transmission et d’éducation du musée. Cette approche faciliterait, selon Rivière, une mise en valeur élargie des contextes de production de l’objet d’art (George Henri Rivière cité dans Mairesse 2011a).

ÉLÉMENTS DE LA PHASE D’OPÉRATIONNALISATION DU SITE ÉDUCART

L’approche multidisciplinaire de la collection nécessite un type de recherche qui va au-delà de l’histoire de l’art et demande le concours de partenaires experts de différents domaines. Qu’observent un cardiologue ou une chanteuse d’opéra sur des œuvres liées à la thématique du cœur? Quels points de vue ont une neuropsychologue ou une historienne sur la thématique de la mémoire? Ces partenaires experts permettent d’informer et d’aborder l’œuvre d’art autrement, tout en aiguillant la lecture de l’œuvre vers des enjeux sociaux propres à leurs disciplines. Les différents points de vue des experts sont diffusés dans de courtes capsules vidéo (3–8 minutes).

À la lumière de cette recherche multidisciplinaire et de la collaboration d’experts, des textes et des questions mobilisatrices sont aussi produits pour accompagner la thématique et les œuvres, dégageant ainsi des portes d’entrées multidisciplinaires en regard d’enjeux actuels identifiés par ces experts. Des mots clés associés aux ressources (œuvres ou capsules vidéo) apparaissent d’ailleurs dans le texte d’introduction et définissent le champ sémantique de la thématique en plus d’être cliquable et d’offrir une navigation dynamique et non linéaire. Plutôt que d’offrir un parcours dirigé, cette navigation favorise une construction du sens par les différentes possibilités de mises en relation de ressources et fait écho aux structures rhizomatiques d’Internet.

Toutefois, malgré la possibilité de cette lecture transversale, le recours à la ligne du temps s’est imposé: pour l’enseignant du secondaire, par exemple dans le domaine de l’univers social, il demeure important de situer les œuvres dans leurs contextes, puisque les élèves bâtissent leur conception historique du temps (Ministère de l’éducation du loisir et du sport 2007).

Du point de vue de la micro-opérationnalisation des thèmes, nous prendrons l’exemple de la thématique « La rue ». Cette dernière résonne avec la mission sociale du Musée et se déploie de façon polysémique : elle évoque la communauté, le vivre-ensemble, l’urbanité et des enjeux tels que l’itinérance et le développement durable. En plus d’évoquer un motif – la rue représentée par les artistes de la collection –, les enjeux qu’elle évoque peuvent aussi trouver résonance dans les œuvres. Différents experts identifient des éléments dans les œuvres d’art qui pourraient échapper à l’histoire de l’art : l’urbaniste évoquera les distances et le développement durable en observant un vélo Bixi, la directrice artistique de projets muraux urbains parlera de l’importance de l’art dans l’espace public devant une toile du 17e siècle illustrant une place antiquisante, et l’intervenante sociale discutera de la question de l’anonymat et de la solitude en regard d’une ruelle peinte par Philip Surrey.

1.4. L’approche collaborative et de cocréation

S’inscrivant dans la foulée du tournant social du musée initié depuis les années 1970, Nina Simon, auteure du livre The Participatory Museum (Simon 2010) et du blogue Museum 2.0 (Simon 2021), invite les musées à redéfinir leur structure et à formuler les bases d’un musée participatif inspiré du modèle Web 2.0. The Participatory Museum se veut un guide à l’intention des musées qui présente les principes de la participation et de la cocréation en les soutenant par plusieurs études de cas. Tout comme le principe de relation entre les utilisateurs du Web 2.0, le musée proposé par Simon est centré sur le visiteur :

I define a participatory cultural institution as a place where visitors can create, share, and connect with each other around content. Create means that visitors contribute their own ideas, objects, and creative expression to the institution and to each other. Share means that people discuss, take home, remix and redistribute both what they see and what they make during their visit. Connect means that visitors socialize with other people – staff and visitors – who share their particular interests. Around content means that visitors’ conversations and creations focus on the evidence, objects, and ideas most important to the institution in question. (Simon 2010, ii–iii)

L’engouement pour les modèles participatifs et collaboratifs a donné lieu à plusieurs types d’expériences, autant intra muros qu’en ligne, principalement depuis dix à quinze ans. Nanna Holdgaard et Lisbeth Klastrup au Danemark (Holdgaard et Klastrup 2014), ainsi que Bernadette Lynch en Grande-Bretagne (Lynch 2013), ont porté un regard critique sur plusieurs de ces initiatives et constatent les difficultés et les échecs de la mise en place d’un modèle véritablement collaboratif. Selon les auteurs, il semble y avoir une variété de définitions qui sont en usage et l’on confond souvent les modalités de la participation, de l’interaction, de la collaboration, ou de la cocréation. De même, le rapport du CEFRIO L’apport du numérique dans la relation école-musée, jette les bases d’une typologie des pratiques numériques collaboratives et identifie quatre modes de participation fondés sur les travaux de Nina Simon : consultation, contribution, collaboration, cocréation (CEFRIO 2017).

Faisant écho à ces problèmes de définition, Bernadette Lynch, qui avait le mandat de faire l’étude d’initiatives collaboratives pour douze musées de tailles et de mandats variés en Grande-Bretagne, souligne un autre écueil issu des initiatives collaboratives mises en place par les musées. Lynch constate que la majorité des projets étudiés ont davantage établi une relation de consultation d’une communauté par le musée qu’une véritable collaboration : « People confuse consultation and collaboration… It’s a different power relationship » (Lynch 2013, 17). Selon l’auteur, les rares cas où une véritable collaboration s’est mise en place entre le musée et une communauté, l’expertise était partagée et tous les acteurs étaient activement engagés dans le projet dans une perspective d’empowerment d’une communauté soutenue par le musée : « The strongest work that emerged from this study came from those organisations that had shifted the role of their community partners from beneficiaries (or supplicants) to active agents and partners of the museum. They had transformed their role into one of supporting people in developing their own capabilities » (Lynch 2013, 20–21). Dans son travail dirigé portant sur les pratiques muséales dans la conception d’expositions collaboratives, Stephanie Webb définit d’ailleurs les quatre éléments essentiels d’une collaboration/cocréation/coproduction : formulation de paramètres clairs, bonne communication entre les parties, partage du pouvoir et compréhension des enjeux du projet (Webb 2014).

1.4.1. La voie d’autorité du musée et son partage avec des communautés variées

Ouvrir le musée à d’autres disciplines, à d’autres voix, c’est redéfinir – ou du moins partager – la notion d’expertise. Cette mise en relation des disciplines et des champs de savoir dont parlent Rivière (« conjuguer ») et Morin (« interaction ») est au cœur du fonctionnement d’Internet : non linéaire et en réseau. Le philosophe des technologies de l’information David Weinberger, dans son essai Too Big to Know, montre à quel point Internet change notre relation au savoir et à sa construction : « The Internet enables groups to develop ideas further than any individual could. This moves knowledge from individual heads to the networking of the group. We still need to get maximum shared benefit from smart, knowledgeable individuals, but we do so by networking them » (Weinberger 2011, 45–46). La construction et l’appréhension du savoir n’est plus linéaire et individuelle, mais s’élaborent en réseau et en groupe. Ainsi, dans un modèle qui se construit en réseaux, le savoir ne provient plus d’une seule source d’autorité (Weinberger 2011, 119). Cette ouverture à plusieurs voix pose des défis aux musées qui se sont définis comme des experts disciplinaires dans le champ de la culture :

Le musée a été conçu, à la fin du XVIIIe siècle, comme l’une des institutions qui, avec l’école et l’Église, ont eu pour mission d’encadrer la culture, d’assister la recherche générée par l’intelligentsia universitaire et de la diffuser, mais nullement de la construire avec l’ensemble du public. En ce sens, le changement induit par les nouvelles technologies constitue un formidable défi, puisqu’il pourrait bouleverser radicalement les monopoles actuels. (Mairesse 2011b, 699)

Il s’agit certainement d’un défi pour les musées, mais des auteurs comme Ramesh Srinivasan, Robin Boast, Jonathan Furner et Katherine M. Becvar croient qu’une approche conjuguant la tradition d’expertise des musées au tournant social pris par ces derniers en sollicitant d’autres communautés d’experts et de non-experts permettrait d’enrichir la connaissance sur les collections de multiples points de vue, dans une perspective de diversité et d’inclusion (Srinivasan et al. 2009). Au-delà du rôle de producteur et de diffuseur de savoirs, le musée pourrait maintenant se concevoir comme la source d’un dialogue social, en stimulant la conversation entre les communautés et en s’assurant de la représentativité de ces dernières. Comment alors engager ces dialogues avec les communautés dans un esprit de partage et d’ouverture à l’Autre?

1.4.2. La relation musée-école

L’une des communautés affirmées du musée est celle formée du public scolaire. De fait, le musée et l’école entretiennent une relation de longue date. Si l’ICOM identifie une fonction éducative à la mission du musée, l’école voit depuis longtemps dans ce dernier une ressource pour son enseignement, voire un partenaire. Au Québec, cette relation musée-école a été abondamment documentée au cours des années 1990, notamment avec les travaux du Groupe de recherche sur l’éducation et les musées (GREM). Acteur important des milieux de la muséologie et de l’éducation, Michel Allard s’est intéressé à la fonction éducative des musées du Québec et à la relation qu’ils entretiennent avec l’école. Dans son ouvrage Éduquer au musée. Un modèle théorique de pédagogie muséale (Allard et Boucher 1998, 207), il note avec sa collègue Suzanne Boucher que depuis 1923 la visite au musée est recommandée dans les curriculums scolaires comme stratégie pédagogique participant de l’enseignement en classe. Retraçant l’historique de cette relation au Québec au cours du 20e siècle, les auteurs constatent à la fin de cette période que « la question n’est plus de savoir si le musée et l’école peuvent collaborer, mais plutôt comment cette collaboration peut s’établir » (Allard et Boucher 1998, 24).

Du point de vue du musée, cette relation peut se développer dans le cadre de la finalité de l’éducation muséale telle que définie par les auteurs : « Épanouir l’individu et l’intégrer dans la communauté humaine par le biais des deux organisations de l’environnement muséal : le musée comme lieu d’enseignement et le musée comme lieu de divertissement » (Allard et Boucher 1998, 56). Par cette définition, Allard et Boucher nous paraissent très justement distinguer le contexte éducatif informel du musée vis-à-vis du cadre formel de l’école qui doit se préoccuper d’évaluation des apprentissages et des compétences de chacun des élèves. À partir de ces postulats, nous constatons que si les deux institutions sont en relation et visent des fins parfois similaires, leurs contextes varient : le musée, bien que fort de son expertise dans les champs de ses collections et de l’éducation, n’est pas l’école.

S’intéressant aussi aux relations musée-école, Maryse Paquin définit trois types de relations dans son ouvrage La visite scolaire au musée (Paquin 1998). Observant l’offre éducative des musées québécois, l’auteure passe en revue trois types de relation entre le musée et l’école: la déscolarisation du musée, la parascolarisation du musée et l’harmonisation des ressources muséo-scolaires (Paquin 1998). Par déscolarisation du musée, Paquin entend les musées qui ne distinguent pas spécifiquement le grand public du public scolaire et offrent une visite guidée générale. Le deuxième type de relation, la parascolarisation du musée, concerne une programmation éducative destinée à un public scolaire mais élaborée en fonction d’une exposition sans tenir compte du curriculum de l’école. Au contraire, le troisième type de relation voit l’harmonisation des ressources muséo-scolaires en proposant une offre éducative en regard de sa collection et des curriculums scolaires.

L’ouvrage d’Allard et Boucher, soutenu par les études du GREM, fait l’inventaire des types de pratiques des musées en matière d’éducation et formule un modèle de pédagogie muséale qui vise à intégrer la visite au musée à l’enseignement en classe en respectant les spécificités éducatives de chacun. Le modèle de pédagogie muséale développé par le GREM propose trois étapes définies dans le Tableau 1 suivant (Allard et Boucher 1998).

Tableau 1

Modèle de pédagogie muséale développé par le GREM (Allard et Boucher 1998, 79).

Avant École Préparation Questionnement Interrogation de l’objet
Pendant Musée Réalisation Cueillette de données et analyse Observation de l’objet
Après École Prolongement Analyse et synthèse Appropriation de l’objet

Ce modèle intègre la visite muséale à une démarche d’apprentissage complète, incluant les volets en classe et au musée, et vise l’appropriation de l’objet (ses spécificités, son contexte, son sens, ses valeurs).

Les ouvrages de Allard et Boucher et Paquin sont tous deux rédigés à la fin du 20e siècle, en 1998, avant l’explosion dans le monde muséal des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) et l’avènement du Web 2.0. Les modèles relationnels qu’ils définissent demeurent dans une logique plus traditionnelle « destinateur-destinataire », c’est-à-dire que les musées construisent une offre éducative, basée ou non sur les programmes scolaires de l’école québécoise, qu’ils présentent aux établissements qui auront alors le choix de les utiliser ou non.

Si le modèle du GREM est aujourd’hui encore valorisé dans les études sur l’éducation muséale, les relations qu’entretiennent le musée et l’école sont appelées à se redéfinir par la transformation même de l’institution muséale du 21e siècle. Sans explicitement (re)définir la relation musée-école, l’article « Le parcours et les perspectives du champ de la recherche en éducation muséale » signé par Allard dans un ouvrage dirigé par Anik Meunier (Allard 2012), identifie quatre axes du changement des musées qui sont appelés à modifier sa fonction éducative : l’axe social où les enjeux et les débats de société sont devenus au cœur de son action; l’axe économique où l’industrie touristique est de plus en plus appelée à être un moteur économique du musée; l’apport des nouvelles technologies de la communication qui élargit le champ d’action du musée au-delà de ses frontières physiques; et, élément central du musée du 21e siècle, la participation du visiteur, appelé à devenir un acteur clé du musée. Pour Michel Allard, le musée d’aujourd’hui élargit ses frontières, intra et extra muros, en plus d’être un acteur du présent, engagé dans les enjeux de son époque. Il ne s’agit plus de favoriser la compréhension et l’appropriation de l’objet mais bien d’engager le visiteur à être actif et à questionner cet objet dans les contextes actuels qu’il évoque.

ÉLÉMENTS DE LA PHASE D’OPÉRATIONNALISATION DU SITE ÉDUCART

C’est à partir de ces ressources produites par le Musée et en partenariat avec différents organismes et experts que les activités pédagogiques d’ÉducArt sont formulées. Plutôt que d’établir une relation à sens unique où le Musée propose des activités développées à l’interne pour l’école, la relation musée-école proposée par ÉducArt s’inscrit dans l’esprit de la démarche collaborative éprouvée par Musée en partage. Dans une relation de réciprocité, le Musée et l’école partagent leurs expertises respectives : le Musée, expert de ses contenus, cocréé des activités pédagogiques avec l’école, experte de ses contenus disciplinaires et du Programme de formation de l’école québécoise.

Pour soutenir le développement de la plateforme dans sa relation avec l’école, le Musée a engagé une phase d’évaluation auprès d’enseignant.e.s du secondaire de différents domaines d’apprentissage du Programme de formation de l’école québécoise. Cette phase d’évaluation a été réalisée conjointement avec une équipe de chercheurs en éducation de l’UQTR et de l’Université Laval (voir les écrits suivants : Larouche et al. 2017 ; Larouche et al. 2019). Elle a permis de mesurer l’intérêt et l’appropriation de la plateforme par les enseignant.e.s et d’ainsi ajuster les contenus thématiques multidisciplinaires et pédagogiques diffusés par le Musée au cours du développement de la plateforme.

La démarche de cocréation d’ÉducArt dans la production de ressources pédagogiques en ligne se développe en cinq étapes : la rencontre de cocréation, la découverte des œuvres par les élèves, la recherche et ses questionnements, la réalisation du projet pédagogique, la synthèse et la diffusion.

D’abord, la rencontre de cocréation met en relation l’équipe du Musée avec l’équipe de l’école formée de conseiller.ère.s pédagogiques et/ou d’enseignant.e.s. Lors de cette première étape, la thématique est choisie et grâce à un accompagnement du Musée, l’équipe de l’école investigue les œuvres de la collection pour en dégager les potentiels pédagogiques en lien avec les domaines d’apprentissage visés. Si, pour le Musée, les objectifs de cette rencontre sont de rendre accessibles les œuvres de la collection dans un contexte scolaire et d’en favoriser l’appropriation au-delà de l’histoire de l’art, les objectifs de l’école peuvent varier selon les directions, les conseiller.ère.s pédagogiques ou les enseignant.e.s : utiliser une approche culturelle de l’enseignement, renouveler ses pratiques, utiliser des technologies en classe, travailler avec un partenaire culturel, favoriser une approche multidisciplinaire, etc.

Après que les bases du projet aient été formulées, l’équipe du Musée soutient les enseignant.e.s lors d’une animation en classe, afin de présenter les œuvres de la collection aux élèves, notamment en utilisant la « grille d’analyse multidisciplinaire » qu’elle a développée et qui accompagne chacune des œuvres sur le site. Cette première phase d’appréciation soutient les élèves dans l’élaboration d’un premier point de vue sur la thématique et sur les œuvres de la collection.

Par la suite, lors de la troisième étape, les enseignant.e.s prennent le relais et formulent les questions mobilisatrices sur lesquelles seront jetées les bases du projet à réaliser dans leur domaine d’apprentissage. Les capsules « experts » peuvent, par exemple, être exploitées pour faire le lien avec un domaine d’apprentissage.

Une fois les questions mobilisatrices posées et à partir des œuvres de la collection, les élèves expriment leur point de vue sur la thématique et doivent réaliser leur projet multidisciplinaire.

Enfin, lorsque le projet des élèves est complété, les équipes du Musée et de l’école procèdent à la synthèse des étapes franchies pour le réaliser et ainsi le rendre intelligible à la communauté scolaire. Le projet est séquencé en lien avec les compétences et la progression des apprentissages du Programme de formation de l’école québécoise et diffusé en ligne, dans la zone pédagogique du site ÉducArt. Les différentes étapes ont aussi été documentées par des captations vidéo, des entrevues d’élèves et d’enseignant.e.s ou des photographies. Cette documentation sert de point d’appui pour rendre compte de façon concrète du projet aux enseignant.e.s qui utiliseront par la suite la ressource pédagogique sur le site ÉducArt, en plus d’être une vitrine qui met en valeur autant le processus de travail que les réalisations des élèves.

Le projet scolaire lié à la thématique de « La rue », par exemple, a été abordé par des élèves d’une école secondaire de Montré al et a rassemblé des enseignant.e.s en arts plastiques, en science et technologie, en éthique et culture religieuse, ainsi qu’une conseillère pédagogique en arts plastiques. Si l’objectif du Musée était de faire rayonner sa collection dans une perspective éducative, celui de l’école était de travailler dans une perspective multidisciplinaire. Les élèves ont donc été amenés à considérer la rue à travers le temps (arts plastiques), puis à s’interroger sur des questions relatives à des enjeux qui lui sont liés, comme la pauvreté ou la solitude (éthique et culture religieuse) et à apprécier des composantes plastiques et scientifiques comme la lumière (arts plastiques et science). Au final, ce sont des tableaux avec des composantes électrique et sonore qui ont été réalisés par les élèves, recourant à trois domaines d’apprentissage et abordant les œuvres de la collection par l’entremise d’un thème.

Conclusion

Le musée, microcosme du monde, est un organisme en mouvement appelé à se transformer. Des bouleversements, engagés notamment par la révolution numérique, amènent le musée à repenser ses relations au monde, avec ses publics. Connectés et en réseaux, comment les communautés du musée vont-elles interagir avec lui?

Comme l’indiquent Harvey et Loiselle, le processus d’une recherche-développement est itératif, c’est-à-dire qu’il n’est pas linéaire et les différentes phases peuvent être travaillées et rappelées à différents moments. Ainsi, la conception du contenant et des contenus s’est développée en tandem, l’un influençant l’autre. C’est une constellation qui est le cœur du design et du fonctionnement du site ÉducArt : un univers en mouvement où chaque planète représente un thème. La relation entre les thèmes et l’approche multidisciplinaire a permis aux concepteurs d’imaginer un espace en trois dimensions donnant accès à plusieurs facettes – plusieurs points de vue! – d’un même thème. Cette esthétique participe tant du design du site que de l’approche multidisciplinaire de l’œuvre d’art ou de la relation aux savoirs. ÉducArt pose des questions, engage la discussion avec des experts de différentes disciplines et avec l’école, favorise la mise en relation de ses ressources pour produire, en cocréation avec l’école, différents parcours d’activités pédagogiques.

La communauté spécifique de l’école avec qui le musée entretient une relation bien établie en est une intéressante pour repenser ses modes d’interactions. Si les théories de l’apprentissage du constructivisme et la philosophie du Web 2.0 nous autorisent à considérer l’apprenant, le visiteur ou l’utilisateur comme actif dans son processus d’appréhension du savoir, il s’agira pour le musée de formuler un contexte de relation qui en tire parti, autant dans la façon dont il bâti son offre éducative que dans les outils et les plateformes d’échanges qu’il met à la disposition de la communauté des publics scolaires. Du coup, le musée doit se repenser lui-même dans sa relation aux savoirs et à l’autorité qu’il assurait jusqu’à maintenant dans un modèle vertical de transmission « destinateur-destinataire ». Avec de nouveaux moyens offerts par le numérique, le musée est appelé à ouvrir et à faciliter le dialogue avec la communauté scolaire.

La recherche-développement a permis de documenter la mise en place du projet de ressources éducatives en ligne de l’origine du projet, à la formulation des objectifs et du concept, jusqu’à son opérationnalisation. Les quatre principes sur lesquels se développe ÉducArt dans le contexte de la mission éducative et sociale du Musée des beaux-arts de Montréal permettent d’envisager sa collection encyclopédique et de renouveler la relation que le Musée entretient avec ses publics, notamment scolaires. L’utilisation du Web dans une perspective de diffusion et de médiation de la collection permet au Musée de rayonner à l’extérieur de ses murs et, en prenant en considération les fonctionnalités et la philosophie inhérente au Web 2.0 et d’engager une communauté élargie avec le patrimoine qu’il contient. L’approche thématique et transversale de cette collection permet de créer des liens entre les œuvres et des enjeux sociaux actuels qui rendent la collection signifiante pour les jeunes publics d’aujourd’hui qui seront demain les gardiens de ce patrimoine. L’approche multidisciplinaire conduit au décloisonnement des discours sur les œuvres d’art; l’autorité détenue par l’histoire de l’art est partagée avec une communauté élargie d’experts qui viennent éclairer et informer la collection autrement. Du coup, ce sont tous les domaines d’apprentissage enseignés à l’école qui peuvent s’emparer de l’œuvre d’art pour se l’approprier et lui donner du sens. Finalement, l’approche de cocréation dans la formulation des activités pédagogiques continue d’engager le Musée dans une relation de réciprocité avec ses communautés : le Musée, expert de ses collections, est en dialogue avec l’école, experte du Programme de formation. L’action éducative du Musée se voit ainsi transformée puisque sa pratique est fondée sur les besoins pédagogiques formulés par le milieu scolaire lui-même, en regard de son programme.

La représentation des collections à travers les expositions est l’acte par lequel un musée rend accessibles les objets à ses publics. Pour Krzystof Pomian, les objets contenus dans les musées sont des sémiophores, c’est-à-dire des objets porteurs d’invisible, de sens, de mémoire d’un temps ou d’un lieu autre ou encore d’imaginaires (Pomian 1987). Selon Jean Davallon, la mise en exposition de ces objets permet alors de révéler et tout à la fois de construire un ailleurs : « La mise en exposition définit un lieu où elle accumule des objets, où elle condense du temps et de la vie. […] il s’agit moins de saisir le monde « tel qu’il est » que d’en créer un. L’exposition, monde de langage, propose un modèle du monde réel. Cela signifie qu’elle opère une réduction et une modélisation du monde : celui-ci perd en réalité ce qu’il commence à gagner en signification » (Davallon 1986, 271). De la même façon, en mode numérique, c’est à cette relation avec le monde auquel les élèves et les enseignant.e.s sont invité.e.s à renouer au travers du projet ÉducArt. D’ailleurs, la formulation de cet univers dans une expérience de réalité virtuelle à l’intention des classes a fait l’objet d’un projet de recherche et d’un prototype dans le cadre de PRISME, le laboratoire d’innovation en médiation numérique mis en place par le MBAM et soutenu par le Plan culturel numérique du Québec (Musée des beaux-arts de Montréal 2021). Ces mises en relation entre les œuvres et la communauté scolaire incitent à tracer de nouveaux liens dans un univers en mouvement, diversifié, et fait entrevoir la possibilité qu’apparaissent des constellations inédites, qui offrent un autre point de vue sur le monde.

Notes

  1. En 1972, dans le cadre d’une table ronde de l’UNESCO sur le rôle du musée dans l’Amérique latine, est proclamée la Déclaration de Santiago du Chili qui met de l’avant une vision sociale du musée et qui sera considérée comme l’une des assises des nouvelles muséologies. François Mairesse et André Desvallées en synthétisent les principes dans le Dictionnaire encyclopédique de muséologie : « Le musée doit s’engager dans les débats actuels sur le changement des structures de la société. Cela, il parviendra à l’accomplir par l’interdisciplinarité, par le rôle social qu’il peut faire jouer au patrimoine, par la prise de conscience qu’il peut donner tant dans les régions rurales qu’urbaines (sur les problèmes de l’environnement social ou écologique, sur le développement urbain) et par son rôle d’éducation permanente, de diffusion de connaissances ». (Mairesse et Desvallées 2011, 491). [^]

Remerciements

Les rédacteurs en chef invités remercient le Conseil de recherches en sciences humaines pour l’aide financière accordée.

Déclaration de conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts relativement à la rédaction et au contenu de cet article.

Contributions éditoriales

Rédacteurs en chef invités:

Marie-Claude Larouche, professeure titulaire, Département des sciences de l’éducation, co-directrice depuis 2018 du Laboratoire de recherche sur les publics de la culture (lrpc.ca), Université du Québec à Trois-Rivières, Canada

Hervé Guay, professeure titulaire et directeur, Département de lettres et communication sociale, co-directeur de 2015 à 2021 du Laboratoire de recherche sur les publics de la culture (lrpc.ca), Université du Québec à Trois-Rivières, Canada

Rédacteurs de l’équipe DSCN

Rédactrice du texte

Justine Dubrule, The Journal Incubator, University of Lethbridge, Canada

Rédactrice des citations et du bibliographie

Émilie Rouillard-Beauchesne, The Journal Incubator, Université de Montréal, Canada

Informations sur l’auteur

Cet article est une adaptation d’un travail dirigé réalisé en 2016 pour la maîtrise en muséologie (UQAM). L’auteure était alors à l’emploi du Musée des beaux-arts de Montréal comme Conceptrice – éducation, notamment conceptrice de la plateforme ÉducArt.

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